[Event] Retour en enfance (papa et maman)

Il y a longtemps qu'Yvain a appris à ne pas se fier à sa mère et à ne surtout rien lui demander. Pas de gaieté de coeur, c'est sûr, mais à force de se faire envoyer sur les roses et d'être traité avec le dédain le plus souverain possible, il avait bien retenu la leçon. Il ne devait attendre, de la part de sa mère, ni indulgence, ni douceur, ni compréhension, et s'il fallait qu'il obtienne des réponses à ses questions, trouve soutien et conseil, il savait pertinemment que ce n'est pas auprès de sa génitrice qu'il les trouverait...


Pourtant, il était bel et bien là, tentant de contenir sa panique, les doigts à quelques millimètres de la porte des appartements de ses parents, prêt à frapper. Il était aussi anxieux par la situation qu'à la pensée de ce que sa mère allait en dire. Mais quel autre choix avait-il ? Morgane était la seule magicienne qu'elle connaissait dans Camelot... du moins, c'était la plus accessible, car il ne se voyait par exemple pas s'adresser à Merlin... Et il n'y avait que la magie pour expliquer ce qui lui arrivait. 


Et ce n'était pas anodin, ce qu'il vivait. C'était désarmant... et terrifiant en même temps... C'était arrivé d'un coup. A un moment, il était lui-même... Puis, il était devenu... lui-même... mais... comme si le temps avait filé en sens inverse. Et il avait maintenant l'apparence d'un enfant de pas plus de dix ans... Mais il n'avait rajeuni que physiquement. En conscience, heureusement, il avait conservé le même esprit et les bons souvenirs... Ce qui ne l'empêchait pas de s'inquiéter, évidemment ? Et s'il restait comme ça pour toujours ? 


Il fallait résoudre ce problème, et le plus vite possible. Alors oui, même si l'idée ne lui plaisait pas, la plus disposée à ce miracle paraissait devoir être sa mère. En espérant qu'il ne la retrouve pas plus jeune elle aussi (même si en y réfléchissant, il avait l'impression que sa mère ne vieillissait tout bonnement pas). Il frappa puis il osa entrer.


En levant les yeux (il n'avait pas le choix, et ça le changeait, il avait trop tendance à garder les yeux baissés), il vit que sa mère était présente, mais son père aussi... et là, il avait définitivement l'impression d'avoir à nouveau dix ans.

"Père..., mère..." 

Il ne savait qu'ajouter de plus. La situation parlait d'elle-même.

Dernièrement, Morgane passait plus de temps à Camelot que d'ordinaire. Non pas qu'elle n'y passait pas déjà beaucoup de temps de manière générale, car elle appréciait de passer du temps avec son demi-frère, pour organiser et lui rappeler sa défaite à venir... mais là, d'autres motivations la retenaient au château. Depuis que son époux l'avait mis au courant de la prophétie qui semblait devoir concerner Mordred, elle n'avait plus rien d'autre à l'esprit que de trouver une manière, n'importe laquelle, de l'empêcher. A quoi bon la victoire si cela devait lui coûter la vie de son fils ? Alors oui, elle était encore à Camelot, et pour la peine, devait faire avec la compagnie d'Urien, qui semblait lui aussi très bouleversé par cette prophétie, mais pour une raison tout autre, ignorant qui en faisait réellement l'objet. Quelque part, c'était une bonne chose, car à deux, ils parviendraient peut-être plus aisément à leurs fins, mais en même temps, Morgane s'épargnait bien d'avoir son mari dans les pattes, surtout que le moment venu, quand elle y verrait plus clair, il faudrait qu'elle s'arrange pour l'éloigner et le distraire de son but afin de pouvoir agir prestement. Quoi qu'il en soit, ils se retrouvaient donc tous les deux dans leur appartement. Morgane ne se souciait que peu de ce que faisait son époux, ils ne se parlaient pas et elle-même avait le nez plongé dans un grimoire ancien assez complexe à déchiffrer, quand on frappa à la porte. Morgane allait interroger l'intrus sur son identité, mais elle n'en eut guère besoin car l'intrus en question fit son entrée sans attendre qu'on l'y invite. Et la surprise fut telle pour Morgane qu'elle en laissa tomber son grimoire. Il en fallait beaucoup pour l'étonner, mais là, clairement, elle ne s'attendait vraiment pas à ce qu'elle avait sous les yeux.

-Yvain ?

Oui, c'était bien Yvain, elle le reconnaissait. Il avait beau ne plus se ressembler vraiment, elle le reconnaissait. Parce qu'elle l'avait connu à cet âge, à cette taille... Elle avait sous les yeux un Yvain d'une dizaine d'années. Comment était-ce possible ? Elle n'en avait pas la moindre idée. Ce qu'elle savait en revanche et de façon évidente, c'est que son fils non plus ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Ca se lisait sur son visage, et ça s'entendait au ton de sa voix, il était totalement déstabilisé par la situation... et Morgane aussi, il faut le dire, parce qu'elle n'avait jamais été confronté à un cas de figure comme celui-là.

-Qu'est-ce que tu as fait ? demanda-t-elle en le considérant du regard sans pour autant lever le petit doigt non plus (il ne faudrait pas exagérer).

Parce que pour lui, il était évident qu'il avait fait quelque chose, ça n'avait pas pu arriver juste comme ça.

Quand Urien et Morgane se retrouvaient dans leurs appartements à Camelot, en même temps, ça ne voulait pas forcément dire qu’ils passaient réellement du temps ensemble. Ce n’était pas parce qu’ils étaient dans la même pièce qu’ils se calculaient réellement. Ils avaient l’habitude de cet état de fait. Ils avaient aussi l’habitude de ne pas être au même endroit d’ailleurs, de ne pas se voir par moment pendant très longtemps. Sans que cela ne dérange réellement le chevalier de la table ronde d’ailleurs, bien au contraire. Quand bien même ces derniers temps, il ne pouvait pas s’empêcher d’avoir quand même envie de savoir si Morgane était sur une piste pour sauver leur fils, sans se douter une seule seconde que c’était le fils de son épouse qui était en danger et non le sien. Qu’elle cherchait bien une solution, mais que ce n’était pas dans l’intérêt de Yvain.

Yvain qui n’allait pas manquer d’apparaître bientôt d’ailleurs. Alors que Urien était plongé dans la rédaction d’un courrier, il entendit frapper à la porte. Ça ne le préoccupa pas réellement, parce qu’il était concentré sur ce qu’il était en train de faire. Et que mine de rien, ils avaient l’habitude d’avoir de la visite de divers domestiques du château après tout (ne serait-ce que parce que vivait dans ces appartements la demi-sœur du roi elle même). Mais la porte s’ouvrit avant que qui que ce soit à l’intérieur de la pièce ne dise quoi que ce soit, donc Urien leva son regard vers celle ci. Vers la personne qui entrait dans la pièce. Vers l’enfant qui entrait dans la pièce.

Urien eut la même surpris que Morgane visiblement – même s’il ne l’exprima pas à haute voix comme son épouse – en découvrant que c’était son fils qui venait de passer la porte. Mais il avait le sentiment de remonter de nombreuses années en arrière. Nulle doute qu’il s’agissait bien de Yvain dans tous les cas, ils ne pouvaient que le reconnaître. Même Morgane, même si elle n’avait pas la possibilité d’avoir le trophée de la bonne mère de l’année (mais c’était un peu l’hôpital qui se foutait de la charité en cet instant précis). Morgane demanda à leur fils ce qu’il avait fait, avant même que Urien n’ait le temps de prendre la parole de son côté. Cependant, il s’était levé tout de même afin de s’approcher de Yvain, à peine âgé de dix ans.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? » Demanda-t-il, ne portant pas directement la faute sur son fils, comme le faisait son épouse.

Sans pour autant rejeter complètement le fait que Yvain avait très bien pu faire quelque chose. Ou même, que cela avait un rapport avec la prophétie dont ils avaient eu connaissance. Forcément, le chevalier ne pouvait que s’inquiéter, il était tout aussi perdu que son fils en cet instant précis.

Yvain espéré, par il ne savait quel concours de circonstance providentiel ou autre miracle, que ses parents sauraient directement comprendre ce qui lui arrivait, au-delà du plus évident. Il n'avait besoin de personne pour comprendre qu'il avait à présent l'apparence d'un gamin de dix ans, de qui il était quand il avait dix ans, mais il aurait en revanche grand besoin d'aide pour comprendre pourquoi.

Mais la surprise et l'incompréhension se lisaient sur leurs deux visages, et il n'en fallait pas plus pour que le jeune chevalier (qui serait seulement capable de supporter le poids d'une épée en bois, à présent) de la table ronde devine qu'ils n'étaient pas plus avancés que lui, ce qui ne rendait évidemment la situation que plus inquiétante et critique.

-Yvain ? Qu'est-ce que tu as fait ?

La réaction de Morgane déplut profondément de son fils. De sa part, il savait bien, pourtant, qu'il ne devait ni ne pouvait s'attendre à autre chose, il n'empêche qu'il aurait apprécié plus de considération, à croire qu'il l'espérait encore.

Il adressa à sa mère un regard noir accompagné d'une mine boudeuse, le genre d'attitude qu'il n'avait plus adoptée, eh bien... depuis ses dix ans, à peu près. En même temps, il n'allait pas s'en laisser compter juste comme ça, il n'avait rien fait du tout. Il subissait totalement cette situation sans l'avoir demandé une seule seconde.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »

Ce fut son père qui embraya, et qui eut le mérite de ne pas l'accuser directement du sort qu'il était en train de subir, ce qui ne signifiait pas pour autant que son attitude relevait d'une confiance pleine et entière dans cette... situation qui pourrait être cocasse si Yvain, lui, ne la trouvait pas si désespéré.

Qu'est-ce qui s'était passé, exactement ? Si lui-même le savait, si lui-même était capable de le comprendre...

"Je l'ignore", répondit le jeune homme avec une honnêteté toute désemparée. "C'est arrivé d'un coup, en quelques secondes, je ne comprends pas."

Il essayait d'employer le ton le moins paniqué possible, parce qu'il savait que sinon, on le lui reprocherait forcément, que ce soit Urien ou Morgane, mais en attendant, il n'en menait pas large du tout. Il avait peur.

C'est sûr, Morgane ne se montrait pas d'une grande compréhensivité ni d'une grande empathie envers son fils, mais elle n'allait certainement pas se montrer plus agréable que d'ordinaire sous prétexte qu'il s'était mis dans elle ne savait quelle panade. Peut-être devrait-elle être attendrie par sa bouille d'enfant de dix ans, mais ce n'était pas le cas. Morgane n'avait pas attendu la première décennie de son fils pour ne pas le considérer comme tel. Dès sa naissance, elle s'était appliquée à le considérer avec tout le mépris et toute l'indifférence qu'il lui inspirait. Alors elle se moquait bien de ne pas se montrer tendre envers Yvain, il n'avait sans doute que reçu la monnaie de sa pièce, et elle n'avait aucune intention de se changer son fusil d'épaule, quelles que puissent être les excuses que le jeune chevalier de la table ronde avancerait pour expliquer la situation.

Et en effet, ses excuses n'avaient franchement rien de convaincantes aux yeux de Morgane. Bon, elle voulait bien admettre que son fils était beaucoup trop idiot pour comprendre ce qui lui tombait sur le coin de la figure, mais cela n'ôtait rien au fait qu'il devait être responsable de cela, d'une façon ou d'une autre. Cela lui était tombé dessus, donc, tout simplement, en quelques secondes... Si cette expérience pouvait lui mettre du plomb dans la cervelle... mais elle en doutait plus, surtout s'il se contentait de jouer les victimes en allant pleurer dans les jupons de papa et maman plutôt que de chercher des solutions de son côté pour ne pas s'exposer à l'humiliation que représentait bien évidemment cette situation. Morgane n'avait aucune envie de s'intéresser à tout cela ni d'y consacrer trop de temps. Elle avait d'autres choix à fouetter. Si son époux avait envie de perdre son temps à la tâche, ce serait son affaire, mais elle ne comptait pas y accorder outre mesure d'importance.

-C'est une malédiction, affirma-t-elle d'un ton volontairement indifférent, mais qui à ses yeux en disait suffisamment long. Tu as dû contrarier quelqu'un.

Ce qu'elle comprendrait très bien pour sa part, car Morgane avait tendance à trouver son fils... contrariant, sans vraiment le moindre besoin de faire quoi que ce soit. S'il voulait lever la malédiction, Yvain n'avait plus qu'à trouver la personne qui la lui avait lancé, et à le convaincre d'inverser la tendance. Qu'on ne compte pas sur elle pour faire quoi que ce soit. Non seulement elle n'avait pas les pouvoirs d'annuler la malédiction de quelqu'un d'autre, mais même si elle l'avait, elle laisserait Yvain se débrouiller tout seul. Elle estimait que ce n'était pas ses affaires, pas la moindre seconde, et elle était déjà agacée de devoir, même quelques minutes, devoir prétendre se sentir vaguement concernée par tout ça.

À choisir, Urien ne pouvait pas nier qu’il aimerait bien que Yvain soit parfaitement au courant de ce qui arrivait, afin de s’assurer que ça soit possible de résoudre cette situation. Le chevalier n’avait aucune envie de continuer de voir son fils si jeune (même si gagner quelques années c’était une bonne chose en soit, mais Yvain était justement à l’âge parfait en ce moment) et puis il ne pouvait pas nier qu’il s’inquiétait quand même énormément pour lui. Surtout au vu de ce qu’il avait découvert dernièrement (même s’il ne se rendait pas encore compte que ça n’avait rien à voir avec Yvain, mais que ça concernait l’autre fils de son épouse dont il ignorait l’existence). Il s’inquiétait donc, et ça ne le rassurait pas du tout de savoir qu’en plus Yvain n’avait aucune idée de comment c’était arrivé et de ce qui se passait. C’était donc arrivé très rapidement, sans qu’il ne comprenne comment, en quelque seconde. Autant dire que Urien ne se sentait pas du tout rassuré à cette idée.

Le regard du chevalier se tourna instinctivement vers son épouse, non pas qu’il cherche spécialement son aide, mais force était de constater qu’elle était bien plus adepte de la matière, puisqu’elle pratiquait la magie et ça avait tout l’air d’être magique. Urien, par la force des choses, ne pouvait pas mettre en doute la magie en ce monde, il en était bien trop confronté pour ça, mais ce n’était pas pour autant qu’il était un expert. Bien au contraire. Son épouse affirma alors que c’était une malédiction, que Yvain avait dû contrarier quelqu’un. Son regard se porta une seconde sur son fils. En soit, l’idée qu’il ait contrarié quelqu’un n’était pas complètement folle, parce que mine de rien son fils était quand même un chevalier de la table ronde. Autant dire qu’il devait avoir plusieurs ennemis à son actif. Tout comme bon chevalier se respectant et les malédictions devaient être courant au vu de leurs activités. Sauf que ça leur faisait une belle jambe d’entendre la sorcière affirmer que le sort de Yvain était dû à une malédiction, maintenant il fallait aussi parvenir à arranger la situation.

« Et vous n’avez pas une solution, pour enlever cette malédiction ? » Demanda-t-il en reportant son attention vers Morgane.

Il n’appréciait pas le fait de devoir lui réclamer une solution, mais en même temps Urien se doutait que s’il ne le faisait pas, ça ne viendrait sans doute pas d’elle. Et encore, même en le faisant, rien ne disait qu’elle allait accepter de le faire non plus. Ce n’était pas comme si Morgane avait un jour apporté un intérêt envers leur héritier. Mais dans le doute, elle allait peut-être leur être utile pour une fois.

-C'est une malédiction. Tu as dû contrarier quelqu'un.

La froideur de ton et l'apparente indifférence avec lesquels Morgane s'exprimait pour s'adresser à son fils ne devraient pas, en soi, surprendre Yvain, car l'on peut dire que le jeune chevalier y était largement habitué, par la force des choses. Ce n'est pas pour autant que cela lui devenait plus plaisant au fil du temps bien au contraire.

C'était une malédiction, et elle en parlait d'un ton qui n'aurait sans doute pas été différent si elle avait choisi d'évoquer le temps qu'il faisait : preuve donc du désintérêt manifeste qu'elle accordait à son propre fils.

C'était une malédiction, et puisque sa mère était sûre d'elle, le jeune chevalier était sans doute contraint d'y croire. Cette pensée le faisait frémir. Que quelqu'un puisse le détester, le mépriser, au point de lui faire subir une telle disgrâce, cela ne l'engageait guère.

Mais il y avait bien sûr des candidats tout trouvés à ce titre. En oeuvrant pour la table ronde, le jeune homme ne s'était pas fait que des amis. Il avait croisé le fer avec de nombreux opposants, et s'il était toujours du monde, c'est qu'il ne s'était pas si mal débrouillé.

Et puis il y avais aussi ceux qui avaient de plus grandes raisons encore de lui en vouloir. Irrésistiblement, Yvain songea à la belle Laudine, et surtout à son père... S'il y en avait pour pouvoir accumuler les reproches à son encontre, c'était bien eux.

« Et vous n’avez pas une solution, pour enlever cette malédiction ? »

Yvain s'était attendu à accuser des reproches, il se sentait rassuré de voir son père plus soucieux de trouver des solutions que de l'accabler, ce qu'Yvain faisait parfaitement de son propre chef et sans l'aide de personne, il s'en voulait beaucoup trop.

Il tourna vers sa mère un regard implorant. Il n'avait aucune envie de la supplier, mais si quelqu'un était capable de l'aider à lever cette malédiction, ce devait être elle, qui versait dans la magie, et pas que dans la magie blanche.

"Je vous en prie, mère. S'il y a la moindre solution, je ferai tout pour redevenir qui j'étais."

Même si la contrepartie devait être regrettable ou humiliante. Faisait-on pire que l'humiliation qu'il subissait déjà en ce moment, de toute manière ?

Morgane accueillit la question de son époux avec un soupir las. Ainsi, parce qu'elle était à même d'analyser ce qui était arrivé à leur fils, elle devrait s'en soucier davantage et lui prémâcher le travail ? C'est sûr, si elle décidait de se pencher sérieusement sur la question, il se pouvait qu'elle trouve une solution relativement rapidement. Mais elle n'avait aucune envie de consacrer de son temps et de son énergie à ce fils qui ne lui inspirait ni affection, ni respect. Et sous cette apparence, au demeurant, il le rebutait plus encore. Morgane était particulièrement agacée d'être mêlée à ses affaires, et connaissant Urien, il n'allait sans doute pas la lâcher tant qu'elle n'aurait pas commis l'insigne effort de les aider à résoudre ce problème. Comme si, d'une façon ou d'une autre, sous le prétexte qu'ils portaient le même nom, elle avait l'obligation de les aider. Non mais sérieusement... Et voilà que le gamin l'implorait de sa petite voix qui n'avait pas encore mué. Avait-on déjà vu spectacle plus pathétique ? Sans doute, mais à l'heure actuelle, Morgane était absolument affligée par ce qu'elle entendait et voyait. Elle n'avait rien demandé à personne et évité autant que possible de se retrouver en présence de son mari et de son fils (et encore plus en présence des deux en même temps, il faut bien le dire), et voilà qu'elle se les coltinait tous les deux, avec une petite malédiction de derrière les fagots qui plus est.

-Ce n'est pas parce que tu as l'apparence d'un gamin que tu dois agir comme tel, soupira-t-elle alors, agacée. Elle n'avait qu'une hâte : se débarrasser une bonne fois pour toutes de cette situation qui, clairement, lui déplaisait profondément. Si tu veux annuler cette malédiction, trouve la personne responsable et arrange-toi pour inverser le sort, répondit-elle alors d'un ton blasé comme si c'était la chose la plus évidente au monde.

Ce n'était pas un mensonge : le meilleur moyen d'annuler une malédiction, c'était de tuer la personne qui l'avait commise ou d'obtenir par la force qu'elle l'annule. Ce qui ne signifiait pas que certaines malédictions ne pouvaient pas être réparées aisément. Pour peu qu'elle daigne accorder cinq minutes de son temps précieux à ses grimoires, elle parviendrait sans doute facilement à tirer son fils de cette mauvaise passe, mais pourquoi s'en donnerait-elle la peine. Certes, si cela durait trop longtemps, la situation passerait peut-être de sincèrement agaçante à profondément humiliante, il faudrait certainement envisager d'y palier (d'autant que Morgane n'avait absolument aucune envie de revivre les dix ans d'Yvain - même si déjà à ce moment-là, il ne prenait pas la peine de s'intéresser plus avant à son sort).

Urien ne devrait peut être pas compter sur l'aide de Morgane, mais il le faisait quand même. Après tout, la femme avait quand même des talents incroyables, elle était une puissante fée. Quand bien même l'homme ne prêtait pas spécialement attention à la magie, il avait quand même conscience des capacités de son épouse. Ce n'était pas pour rien qu'il avait plus ou moins accepté de la laisser voir si elle pouvait se renseigner concernant la prédiction qu'il avait entendu au sujet de son fils (ne se rendant pas compte que ce n'était pas ce fils de Morgane). D'ailleurs, le chevalier craignait vraiment que ça ait un rapport et autant dire qu'il comptait un peu sur elle pour arranger la situation actuelle, pour permettre à son fils de retrouver sa forme normal. Si elle savait que cela avait un rapport avec une malédiction, il n'y avait aucune raison pour qu'elle ne puisse pas arranger les choses non ? Bon d'accord, il y en avait des milliers, mais Urien avait vraiment envie que Morgane fasse un effort.

Cela dit, il ne pouvait pas nier qu'il se serait quand même épargné d'entendre son fils supplier sa mère. Du moins de cette façon. Il ne pouvait pas non plus le lui reprocher complètement, mais forcément il avait le sentiment de revenir de nombreuses années en arrière et de revoir son fils enfant, pas encore devenu l'homme qu'il était et que Urien avait envie de le voir devenir. Il y avait toujours des sujets de perfection, bien entendu, mais en même temps il était quand même fier de l'homme qu'était devenu Yvain, il n'avait aucune envie de le revoir devenir ce gamin suppliant qu'il avait pu être.

Cela dit avec Morgane, il fallait peut être user de tous les moyens. La femme ne manqua pas de souligner le fait que ce n'était pas parce qu'il avait l'air d'un gamin qu'il devait agir de la sorte. Pour le coup, l'homme n'avait pas envie de la contredire. Elle affirma ensuite que le jeune homme – qui n'avait rien à voir avec un jeune homme en cet instant précis – n'avait qu'à trouver la personne en question, la personne qui avait donc mis en place cette malédiction, et s'arranger pour inverser le sort. Comment ? Peut être en tuant la personne ? Du moins, c'était ainsi que le chevalier de la table ronde voyait les choses.

« Tu as une idée de qui tu as pus contrarier ? » Demanda-t-il à l'adresse de son fils.

Urien se doutait que ça n'allait pas être aussi simple que ça. Après tout, Urien était bien placé pour savoir qu'en tant que chevalier de la table ronde, on avait énormément d'ennemi. Et rien ne pouvait garantir que cela venait de Yvain.

« Vous n'avez contrarié personne de votre côté ? » Ajouta-t-il en se tournant vers Morgane. Parce que rien ne pouvait garantir que cela venait seulement de leur fils. La fée avait eu l'intention de parler avec la voyante que le chevalier avait vu, peut être qu'elle avait fait une erreur. Cela serait idiot de viser le fils de Morgane pour la viser, mais dans le doute, l'homme ne pouvait pas mettre de côté toutes les possibilités.

-Ce n'est pas parce que tu as l'apparence d'un gamin que tu dois agir comme tel.

Yvain serra les dents. Les réprimandes de sa mère, il y était habituée autrefois, quand elle prenait la peine de s'adresser à lui. Depuis, elle avait choisi de plutôt le traiter avec la plus vive indifférence. Qu'est-ce qui valait le mieux, au fond ? Il peinait à le dire. Mais il n'aimait pas, en tout cas, être traité comme le gamin dont il avait repris la parole. Cela faisait remonter en lui de vieux souvenirs et aucun n'était agréable.

Yvain n'avait pas le sentiment de surréagir, pourtant. Il cherchait seulement à se tirer d'une situation hautement déplaisante, et de laquelle il avait peur de ne pas réussir à s'extirper... mais sa mère n'avait ni patience, ni considération à son égard, rien d'autre que de la froideur, du mépris et de l'exaspération. Les derniers sentiments dont il puisse vouloir être enveloppé à l'heure où l'inquiétude siégeait au sommet de ses considérations.

Si tu veux annuler cette malédiction, trouve la personne responsable et arrange-toi pour inverser le sort.

Elle en parlait sur le ton de l'évidence, comme si rien ne devait être plus facile. Mais lui, il était tout de même bien placé pour savoir que si solution simple et manifeste il y avait, il ne serait pas venu s'adresser à ses parents. C'était par trop... humiliant...

Trouver la personne responsable de la malédiction et s'arranger pour l'annuler. Soit, mais qui, et comment ? Et quelle crédibilité avait-il maintenant ? Haut comme trois pommes ? Ses ennemis se riraient de lui.

« Tu as une idée de qui tu as pus contrarier ? »

Des ennemis, Yvain en avait quelques-uns, comme n'importe quel chevalier, sans doute. Au cours de ses quêtes diverses et de ses faits d'armes épars, il avait forcément contrarié quelques manants, mais un seul nom lui venait à  l'esprit.

Pourtant, ça ne pouvait tout de même pas être elle... ça ne pouvait tout de même pas être eux...

« Vous n'avez contrarié personne de votre côté ? »

Il n'attendit pas la réponse de sa mère. Yvain estimait que sa mère avait sans doute, effectivement, un don plus prononcé que lui pour contrarier tout un chacun, mais il ne pensait pas que quelqu'un souhaitant s'en prendre à elle choisisse de s'attaquer à lui. Il ne représentait rien pour elle, c'était son fardeau. Et on ne peut pas dire qu'elle s'en cachait franchement. Il faudrait vraiment avoir mal calculé ses plans pour s'imaginer que s'en prendre à lui puisse affecter Morgane de Gorre.

"Il y a peut-être... Laudine, et son père...", songea Yvain.

C'était la première suggestion qui lui venait, l'épisode de la fontaine, sa promesse jamais tenue. Qui sait si le père et la fille de Landuc n'avaient pas voulu se vanger ?

Cette conversation ennuierait presque Morgane. Elle n'avait pas particulièrement envie d'y prendre part, et encore moins d'en apprendre davantage ou de creuser la question. Cela partait d'un constat amusant : Yvain subissait le contrecoup d'une malédiction qui lui conférait à présent l'apparence d'un simple gamin (mais elle ne l'avait jamais vu autrement). C'était drôle, soit, mais il ne fallait pas compter sur elle pour résoudre l'affaire à moins d'une contrepartie réellement intéressante. Elle ne comptait pas, quoi qu'il en soit, dépenser trop de son temps et de son énergie à quelque chose qui l'inspirait si peu. Mais soit, ils se lançaient à présent dans une grande conversation et quelque part, même si elle n'en ferait certainement pas une priorité, Morgane pouvait tout de même reconnaître qu'elle apprécierait bel et bien connaître le dénouement de cette histoire pour le moins singulière.

Urien posa deux question, la première l'intriguait légèrement (car franchement, elle n'imaginait aucun ennemi à Yvain, le jeune homme était bien trop tendre, bien trop... soumis pour que la question se pose réellement selon elle), la seconde l'amusa davantage. Etait-ce si improbable que la malédiction imputée à Yvain la concerne, elle ? Pas forcément, non. Il est vrai que Morgane s'était fait beaucoup d'ennemis au cours du temps, dont de redoutables. La rançon du succès, dira-t-on. Ceci dit, elle doutait fort, tout de même, d'obtenir une réponse en quoi que ce soit satisfaisante, ou qui résolve vraiment les choses. Si quelqu'un de suffisamment puissant pour lancer une telle malédiction décidait réellement de s'en prendre à elle, il était fort à parier qu'il ne choisirait pas Yvain. Il était de notoriété publique, tout de même, qu'elle n'accordait qu'un minimum de crédit à son enfant. Si on voulait la toucher, ce n'était définitivement pas Yvain qu'il fallait attaquer.

Yvain suggéra alors qu'il pouvait s'agir de Laudine, la dame de la fontaine, et son père. Les personnes qu'il aurait pu mettre le plus en rogne, donc. Morgane n'était pas spécialement convaincue, mais c'était certainement une direction dans laquelle il était plus avisé de chercher que tout simplement chez elle, où il y avait de fortes chances que ce soit complètement vain. Pour ce que ça l'intéressait.

-Eh bien regardez dans cette direction. Si quelqu'un voulait s'en prendre à moi, il ne choisirait certainement pas de s'en prendre à Yvain. Ou bien ce serait là, un bien piètre ennemi.

Effectivement, Urien avait peut-être tort de se demander si ce n’était pas à cause d’un ennemi de Morgane que Yvain se trouvait dans cette situation, mais en même temps le chevalier était plutôt du genre à se dire qu’il valait mieux imaginer tout et ne pas se laisser surprendre. Forcément, Morgane ne tenait pas tant que cela à son fils, ce n’était pas vraiment un secret. Alors décider de s’en prendre à elle en touchant à Yvain, ce n’était pas la meilleure des solutions. Et cela prouvait peut-être que l’ennemi en question serait un piètre ennemi. Soit…

Urien ne répondit rien sur ce détail, il ne pouvait pas complètement mettre cette idée de côté parce qu’il était incapable de le faire. Sans doute parce qu’il avait entendu parler de la prophétie qui mentionnait quand même le « fils de Morgane ». Et qu’il ne pouvait donc pas oublier complètement cette histoire. Est-ce que ça voulait réellement dire que cette histoire était à cause de Morgane ? Non, bien sûr que non, mais rien ne lui garantissait non plus qu’elle ne pouvait pas avoir de rapport avec cette histoire. Cela dit, Yvain avait sa propre piste également.

Parce qu’il y avait Laudine et son père. Forcément, ils avaient entendu cette histoire et Urien comprenait que le seigneur de Landuc ait une dent contre son fils. Est-ce que ça voulait dire qu’il avait utilisé un sortilège à son encontre ? L’homme trouvait ça quelque peu excessif, mais en même temps il ne pouvait pas non plus complètement ignorer cette possibilité. Dans tous les cas, ils n’avaient pas réellement d’autres pistes. Même si ce n’était pas du ressort de Laudine et de son père, ils n’avaient aucune autre idée pour l’heure. Urien était d’avis qu’il faudrait que son fils se débrouille seul, il était suffisamment talentueux pour cela, il pouvait quand même prouver qu’il était capable de s’en sortir seul. Mais en même temps, le seigneur de Gorre ne pouvait pas ignorer complètement ce qu’il avait entendu, la manière dont on l’avait mis en garde.

« Je pense que nous n’avons pas d’autres choix que de nous concentrer sur cette piste. » Répondit-il donc, en s’incluant dans la situation. Il pourrait se contenter de dire que Yvain devait aller voir la jeune femme et son père, mais il décidait de s’inclure quand même. « Veux-tu que je t’accompagne ? »

Bon, il partait un peu du principe qu’il devait accompagner son fils, mais en même temps il se disait que Yvain n’aurait peut-être pas envie qu’il le fasse.

Yvain serra les dents. Il ne servait à rien de s’emporter contre sa mère, et il le savait pertinemment. Cette dernière demeurait parfaitement insensible à la moindre de ses remarques, et mieux valait accuser ses réflexions déplaisantes qu’un dédain plus direct encore… Il devrait ne même pas être blessé par sa réflexion, à vrai dire. Morgane, elle, ne se privait pas de n’afficher rien d’autre qu’une saine indifférence face à tout ce qui pouvait bien le concerner et le bouleverser.

Non, s’en prendre à elle ne servirait à rien, et dans la situation où il se trouvait présentement, il n’aurait qui plus est pas grande influence… déjà qu’il en avait très peu. Il avait la tête, le corps et la voix d’un gamin de dix ans… son apparence avait enterré le peu de crédibilité qu’il aurait pu escompter posséder.

De plus, même si ses paroles faisaient bien évidemment mal, ce n’est pas comme s’il était possible de réellement les contredire. Elle avait raison. Si Morgane avait plus d’ennemis que son père et lui réunis, voire que tout Camelot, ses ennemis la connaissaient assez pour savoir qu’il n’était pas la cible à atteindre pour espérer lui faire du mal. Quelque part… Yvain aurait bien voulu.

« Je pense que nous n’avons pas d’autres choix que de nous concentrer sur cette piste. »

Yvain hocha la tête, le cœur serré. Il n’avait pas vraiment envie de se rendre à Landuc après ce qui s’était passé. Il ne se voyait pas affronter Laudine et son père dans… cet état. Bien sûr, il tenait à revoir la jeune femme, contrairement à ce que son comportement et ses actes pouvaient bien laisser supposer… Mais accuser le mépris de Laudine serait bien pire que d’avoir à supporter celui, constant, de la femme qu’il avait mise au monde.

Cela dit, ce n’était pas comme s’ils avaient fait le choix, il fallait bien qu’ils fassent quelque chose, n’importe quoi, pour que la situation trouve une résolution. Il ne pouvait conserver cette apparence trop longtemps.

« Veux-tu que je t’accompagne ? »

Yvain s’abstiendrait de le dire, mais il se sentait touché par la proposition de son père. Il s’était plutôt attendu à ce que ce dernier le laisse se débrouiller. Et c’était sans doute ce qu’il voulait entendre, d’ailleurs, qu’Yvain se débrouillerait par ses propres moyens.

Dans n’importe quelle autre circonstance, il n’aurait pas hésité. Ne serait-ce que parce qu’il n’avait pas vraiment envie de pousser l’humiliation jusqu’à devoir être accompagné par son père en ce genre de circonstances. Mais il ne devait pas oublier qu’il avait l’apparence et la force d’un gamin de dix ans… Edwin de Landuc serait capable de l’abattre en un coup. Et c’était peut-être ce qu’il recherchait. En plus de l’humilier, bien sûr. Alors il finit par hocher la tête.

"Je crains fort de ne pouvoir faire le voyage seul… dans cet état."

Honnêtement, Morgane se fichait assez largement de toute cette scène et ne savait même pas ce qu'elle faisait là pour commencer. Qu'Yvain retrouve son état normal ou garde son apparence de gamin de dix ans, cela suscitait en elle la plus profonde indifférence, elle ne pourrait pas davantage s'en distancier tant le sort de son fils était et demeurerait le cadet de ses soucis. Il trouverait des solutions s'il y en avait, et s'il y en avait pas, tant pis pour lui. Quand on provoquait les mauvaises personnes, il fallait se montrer à la hauteur... et de toute évidence, son fils n'était pas à la hauteur... aucune surprise pour elle de ce point de vue-là.

C'était tout de même à la fois sidérant et malheureux de constater à quel point Yvain était bien incapable de lui ressembler peu importe les circonstances. Même dans la manière qu'il avait de s'exprimer et de gérer la situation, il ne pouvait être plus éloigné de ce qu'elle ferait elle-même. Vraiment, Morgane n'était pas fière de son fils, et elle n'estimait pas, à titre personnel, qu'Urien puisse l'être non plus. Lui aussi aurait tout intérêt à se comporter autrement, en réalité, mais de toute évidence, c'était au-delà de ses aptitudes, si aptitudes il y avait.

Bref, s'ils voulaient s'égarer sur la piste du cinglé et de sa fille au joli minois, c'était leur problème, et ils faisaient bien ce qu'ils voulaient, mais Morgane, de son côté, estimait déjà qu'elle n'avait plus sa place dans cette conversation depuis un bon moment et ne comptait pas adresser le moindre appui à la chair de sa chair. Elle pourrait au moins faire l'effort, il est vrai, de s'assurer qu'aucun contresort n'existait qui pourrait résoudre ce problème, mais c'était loin d'être dans ses ambitions, loin d'être un souci qu'elle avait envie de se faire. Elle avait largement mieux à faire de son temps.

Qu'ils partent donc s'égarer du côté de Landuc si ça les faisait marrer. Elle, elle s'en fichait complètement et n'avait aucune intention de les accompagner ou de leur faciliter le voyage. C'était leur affaire, et au mieux, ça lui ferait des vacances, ce qui honnêtement l'arrangeait bien. Même si quelque part, elle s'amuserait assez de voir un Yvain gamin face à la miss qui l'avait courtisée, face à l'homme qui souhaitait obtenir vengeance. La scène pouvait être comique, il est vrai, mais pas au point tout de même que Morgane choisisse d'y apporter plus d'intérêt. Et d'ailleurs, elle ne demandait plus qu'à se soustraire à toute cette comédie.

-Eh bien, je suppose que vous n'avez plus besoin de moi, maintenant, répliqua-t-elle simplement dans un haussement d'épaules.

Elle ne chercha même pas à ajouter quoi que ce soit d'autre, elle se contenta de quitter les lieux et de laisser le père et le fils seul à seul.