Les liens de Méléagant

La vie de Méléagant aurait dû être un chemin pavé d’or, une succession d’exploits menant à une apothéose finale et superbe. Son nom, décoré d’enluminures, serait apparu dans toutes les légendes, ses aventures seraient devenues des mythes, enjolivées par les années, ses amours auraient été connus de tous comme les plus romantiques, il aurait été un exemple à suivre pour les générations à venir, il aurait été tout ce qu’un héros digne de ce nom doit être, tout ce qu’un roi et un chef de guerre doit incarner. Oui, ainsi aurait dû être la vie de Méléagant.
Sa vie aurait dû être celle d’Arthur Pendragon.
Arthur Pendragon, l’héritier bâtard d’Uther, qui, pour avoir su retirer une épée d’un immonde caillou, a vu la couronne tant espérée se déposer sur sa tête.
Bien sûr, la légende éternelle et le destin héroïque ne furent pas pour lui.

Et pourtant, pourtant, Méléagant avait, de prime abord, tout ce qu’il est nécessaire de posséder pour être à la hauteur de ses ambitions, de naissance noble, il avait reçu une éducation complète et des plus exemplaires, il avait été, très jeune, initié aux arts, aux mathématiques, aux sciences, et au maniement de l’épée. Dans ce dernier domaine, il ne manquait pas d’exceller, d’ailleurs. Il fut d’ailleurs adoubé chevalier, et il n’a en rien à rougir de ses faits d’arme. Quand le trône de Camelot fut mis en jeu, il en fut convaincu : ce devait être lui qui retirerait l’épée excalibur de sa prison rocailleuse. Comment en douter ? Il avait tous les attributs d’un roi. Mais il n’en fut rien. L’adultère Uther Pendragon avait donné naissance à un fils, qui parvint, sans que cela n’ait le moindre sens aux yeux de Méléagant (qui soupçonne encore aujourd’hui quelque sorcellerie à l’œuvre), où lui-même échoua lamentablement. En quoi un bâtard tel que lui, quand le chevalier n’avait, pour sa part, nullement à rougir de sa naissance, serait-il mieux habilité à régner ? Dès l’ascension d’Arthur Pendragon, Méléagant lui voua une haine singulière, et celle-ci devait aller empirant, car le roi nouvellement nommé ne se contenta pas de lui prendre son trône, il lui déroba également celle qu’il aurait dû épouser.

L’homme éprouve pour Guenièvre une passion dévorante et destructrice, qui le poussa aux pires extrêmes, il attaqua Léodagan, et fit promettre à ce dernier de lui donner la main de sa fille. Ce dernier avait accepté, mais sa promesse fut compromise – une fois encore – par Arthur – comme de par hasard—, qui vint au secours de la future reine. Impuissant, Méléagant vit sa promise lui échapper pour se précipiter dans les bras de son pire ennemi. Le chevalier, vaincu et humilié, n’est animé aujourd’hui que par la haine profonde que lui inspire un roi auquel il n’a pas la moindre intention de prêter allégeance. Quoi qu’il lui en coûte, quitte à pactiser avec le diable, ou approchant – son rapprochement avec Morgane, qui lui a fait la promesse de l’aider à obtenir son dû, y ressemble quelque peu, Méléagant est prêt à découvrir ce que la magie a plus d’obscure pour obtenir gain de cause – il récupèrerait ce qui lui revenait de droit. Il règnerait sur Camelot, et Guenièvre deviendrait sa femme. Ainsi en avait-il décidé. Oui, la haine le ronge complètement, mais il a su faire mine de se repentir. S’écraser ainsi devant le roi est loin de lui avoir plu, mais être devenu chevalier de la table ronde lui octroie le privilège non négligeable d’être plus proche de l’ennemi. Et de celle qu’il convoite. Bientôt, il aurait raison de l’un et de l’autre. Ou auront-ils raison de lui ?