Celui qui n'a jamais confiance en personne ne sera jamais déçu. [pv Perceval]

S

a dernière expédition avait été aussi infructueuse qu'éprouvante. Encore du temps gaspillé, à courir après une chimère dont Méléagant remettait chaque jour un peu plus en cause l'existence. Pourtant, il s'était plié aux ordres, sans broncher, armé de l'hypocrisie qui lui servait de camarade depuis des années à présent. Le temps passant, il lui devenait de plus en plus difficile de supporter ces ronds de jambe et ses mensonges à répétition, il avait plus que jamais hâte de dévoiler ses cartes. Malgré tout, ce n'était pas encore le moment, et il le savait. Alors il avait suivi cette piste inutile qui l'avaient mené jusqu'en Bretagne armoricaine...

Et bien sûr, ce qu'on avait voulu vendre au voyageur comme le saint Graal n'était rien d'autre qu'une breloque sans valeur. Une fois encore, tout était à refaire... mais quoi qu'il en soit, la quête du Graal était une grossière erreur en elle-même, chronophage et absurde. L'énergie que les chevaliers de la table ronde déployaient à retrouver la sainte relique, ils feraient mieux de la consacrer à des tâches plus importantes. Mais il ne fallait pas attendre d'Arthur Pendragon qu'il soit un monarque plus consciencieux, n'est-ce pas ?

Oh, dans un premier temps, il y avait cru, au Graal, vraiment, tout comme il avait cru que Merlin n'était pas seulement un vieillard qui perdait doucement la boule... et s'il acceptait avec une certaine rigueur d'accomplir les missions concernant la quête du Graal, c'est qu'il espérait, au fond de lui, que l'une d'elles le mènerait un jour à la sainte relique... ce qui lui permettrait alors de s'en approprier toutes les vertus et lui offrirait un accès pavé d'or au trône. Mais à quoi bon, tout ça, c'était du vent. Et c'était las, et pour le moins agacé on peut le dire, que Méléagant était revenu à Camelot délivrer son rapport au roi. Il passerait quelque temps dans les appartements qui lui étaient dédiés au château avant de retourner chez lui, à moins qu'une nouvelle mission - sans doute tout aussi inutile - ne le mène à d'autres contrées...

Il était justement en chemin vers ses appartements quand il rencontra une silhouette familière, celle de celui qu'il estimait être le plus influençable des chevaliers de la table ronde, raison pour laquelle il comptait bien le ranger de son côté, sans lui faire soupçonner qu'il y avait bel et bien un côté.

-Perceval, bonsoir, le salua-t-il avec un sourire de circonstance.

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A

u fond, il n'était pas si courant que le chevalier de la table ronde soit ainsi traité. Même s'il avait su petit à petit faire oublier ses manigances passées, ce n'était pas pour autant qu'il se retrouvait en odeur de sainteté auprès de la plupart de ses confrères. Alors quand enfin il se retrouvait en compagnie d'une personne qui lui adressait la déférence et le soutien qu'il estimait mériter de la part de n'importe qui (et qu'il obtiendrait le jour où il aurait également le trône - et Guenièvre, ça va de soi), il ne pouvait s'empêcher d'apprécier. Raison pour laquelle, même s'il le considérait comme simplet, Méléagant finissait par apprécier Perceval. Quand le jeune homme l'interrogeait sur sa dernière excursion, il savait que ses questions étaient sincères et qu'il n'y avait pas une once d'hypocrisie là-derrière, ce qui était également plaisant... même s'il méritait forcément l'hypocrisie d'autrui pour sa part à force de se montrer hypocrite envers tout le monde.

-J'en suis revenu indemne, répondit-il dans un léger sourire. Malheureusement, non, elle n'a pas été à la hauteur de mes espérance. Je crains fort avoir une fois encore couru un lièvre inexistant.

Comme tout le monde, en somme. C'était l'histoire de leur vie. Constamment, ils recueillaient l'une ou l'autre rumeur concernant le Saint Graal... Et à chaque fois, cette rumeur se révélait infondée. On les baladait, on se payait leur tête, et ça devenait de plus en plus fatigant. Méléagant partait bien évidemment avec les a priori les plus négatifs du monde, ceci dit, il était incapable de penser qu'il soit le seul à être las de ces quêtes inutiles, de ces errances à répétition. C'était sans fin. Ils cherchaient sans cesse et revenaient constamment bredouille.

Et même si jusqu'alors, il ne cernait pas de réelle faille parmi les chevaliers, il avait envie de penser qu'ils finiraient un jour ou l'autre par se rebeller et admettre que cette situation était parfaitement absurde et vaine. Oui, Arthur avait vaincu les Saxons, c'était son fait d'armes, mais depuis, il se reposait sur ses lauriers, et c'était évident que rien ne se passait depuis. Le Graal, c'était une charmante rumeur pour occuper le tout-venant... Mais Méléagant avait soif d'autre chose, il avait soif de conquête. Et pour cela, il avait besoin du soutien de partisans.

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éléagant se contenta d'afficher un léger sourire quand son interlocuteur lui assura qu'il n'était pas à blâmer. Mieux valait qu'il ne réponde rien à cela, car il pourrait aisément se montrer désagréable sans raison particulière. Parce qu'affirmer qu'iil n'était pas à blâmer, cela revenait à suggérer que c'était une possibilité, et il était loin de voir les choses de cette façon. Bien sûr qu'il n'était pas à blâmer, pas un seul instant, même. Quand bien même il trouvait tout ceci un peu plus absurde à chaque nouvelle mission échouée, il n'organisait jamais ces échecs... Même s'il le devrait sans doute, du moins pour les missions en solitaire. Il serait plus confortable de prendre ses aises en charmante compagnie (même si seule lui satisfaisait celle de la reine, qui la lui refusait avec obstination) que de courir cette chimère à répétition. Mais soit, de la part de son interlocuteur, il savait qu'il ne s'agissait pas d'un reproche déguisé (il n'était pas capable de la même duplicité que votre serviteur) mais bel et bien d'un compliment, et il allait donc faire mine de l'apprécier comme tel.

Pour ce qui était de la déception du roi, s'il était suffisamment stupide pour croire encore dans la réussite de sa quête absurde, alors il n'aurait que ce qu'il méritait. Honnêtement, décevoir Arthur était le cadet de ses soucis. Alors oui, évidemment, il ne fallait pas que cette déception le concerne trop directement... il avait fourni trop d'efforts pour retrouver les bonnes grâces du roi, il ne pouvait pas se permettre de reculer dans cette estime regagnée.

-Je vous remercie de votre considération, Perceval. Malheureusement, le danger est notre lot à tous, chevaliers. S'il devait m'arriver quoi que ce soit en servant la Couronne, mon seul regret serait de ne pas avoir obtenu gain de cause en son nom, pas d'être tombé pour elle.

Qu'est-ce qu'il ne fallait pas dire, comme bêtises ! Enfin... Perceval goberait sans doute la pilule, et il considérait que passer maintenant pour un exemple de chevalierie et de dignité auprès de son interlocuteur pourrait lui servir plus tard. Plus tard, quand ce serait lui qui incarnerait la Couronne en question, et qu'il exigerait de lui qu'ils se battent en son nom... Heureusement qu'il n'avait plus rien à apprendre en matière d'hypocrisie.

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éléagant se contenta d'afficher un humble sourire quand son interlocuteur approuva son propos et donc ses présumées convictions. C'était le but recherché, il voulait passer aux yeux de Perceval pour un exemple à suivre, un homme dans le pas desquels le jeune homme voudrait poser les siens... Plus tard, il réaliserait peut-être son erreur, mais Méléagant préférait croire qu'il l'aurait tant et si bien convaincu de son sens de l'honneur et de son intégrité qu'il se pencherait naturellement de son côté au moment opportun. Le jeune homme précisa qu'apprendre la nouvelle de son trépas l'attristerait beaucoup.

Eh bien, qu'il se réjouisse, Méléagant n'avait pas l'intention de mourir de sitôt. Il poursuivait un but, il avait des ambitions, et il comptait bien les respecter jusqu'au bout, sans faillir. Et cela exigeait bien évidemment qu'il reste en vie... Ce qui n'était pas forcément chose facile en fonction des missions qu'il se voyait confier (son récent face à face avec un dragon le lui avait clairement fait comprendre), mais il avait confiance, malgré tout.

-Je vais tout faire pour, en tout cas, répondit Méléagant sans perdre son sourire de façade.

Il devait bien l'admettre, il y avait quelque chose d'excessivement plaisant dans le fait de converser avec son jeune interlocuteur, il n'y avait rien de mieux pour flatter son égo. Il était toujours plaisant, c'est certain, d'être qualifié de grand homme, et Méléagant n'avait pas la moindre intention de contredire le propos du jeune Perceval. Au contraire, il comptait tout faire pour encourager la haute opinion que le jeune homme avait de lui.

-Vous êtes un homme d'honneur, Perceval, j'en eu la certitude dès l'instant où je vous ai rencontré, je suis certain que vous irez loin.

Bien sûr, il prononçait ces mots pour caresser le jeune homme dans le sens du poil, mais ça ne voulait pas dire qu'il ne le pensait pas du tout, loin de là. S'il ne voyait pas en lui un véritable potentiel (en plus d'une propension à se montrer influençable), il ne s'intéresserait certainement pas à son cas.

-Que diriez-vous si je suggérais au roi que vous m'accompagniiez au cours de ma prochaine mission ?

Et il espérait bien que son interlocuteur y verrait un honneur.

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on, définitivement et sans l'ombre d'un doute, Méléagant l'appréciait bien, ce jeune chevalier. Pas tant pour ce qu'il représentait en lui-même que pour l'image qu'il savait lui renvoyer de lui. Et à dire vrai, ce n'était pas si souvent qu'il avait l'occasion de véritablement se laisser complimenter comme c'était le cas en cet instant. Oh, bien sûr, il y avait quelques chevaliers dont il avait su restaurer la confiance, et le plus important dans tout cela restait qu'Arthur ait pardonné ses actions passées et ne soit plus à même de comprendre tout le mal qu'il continuait de lui souhaiter... mais là, ce n'était pas pareil.

Il y avait vraiment de l'admiration dans le regard et dans la voix de son jeune interlocuteur, et il n'y avait bien évidemment rien de mieux pour flatter l'égo de Méléagant que cela. Pour lui, c'était tout bonnement une preuve de plus s'il en fallait encore du fait que la place qu'il convoitait était une place qu'il méritait. En tous les cas, Méléagant était parfaitement ravi de cette conversation, et convaincu que la relation qu'il entretenait avec Perceval lui servirait plus tard quoi qu'il en soit. Il en fallait bien quelques-uns pour flatter ses louanges. Et il ferait tout son possible pour que ça continue d'être le cas.

Alors oui, il comptait bien parler à Arthur afin de leur confier une mission commune, ce n'étaient pas là uniquement des paroles en l'air. Il avait dans l'idée que cela pourrait lui être bénéfiques. Certaines missions les éloignaient pour plusoieurs jours, si ce n'est plusieurs semaines. Et pour la peine, il serait plus facile de semer dans ce jeune esprit impressionnables les graines du doute et de la rébellion... Ils verraient bien, encore fallait-il que le roi estime que conjuguer leurs forces puisse être utile. Avec lui, on ne savait jamais... Mais dans tous les cas, Méléagant considérait qu'Arthur n'était pas du genre difficile à convaincre, alors cela ne devrait lui poser qu'une très moyenne difficulté.

-Très bien, je suis impatient de vous voir à l'oeuvre. Je suis convaincu que vous serez un frère d'arme de choix. Arthur a pris une excellente initiative le jour où il vous a adoubé.

Et c'était sûrement une de ses rares bonnes décisions.

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a dévotion que savaient témoigner certaines personnes à l'adresse du roi Arthur, et surtout l'ampleur de cette dernière échapperait toujours à Méléagant. Certes, le roi savait se montrer attirant dans la manière qu'il avait de s'adresser à ses pairs, c'est une certitude, mais c'était tout de même oublier que l'homme ne se distinguait que par des faits d'arme que bien d'autres à sa place auraient su mener de façon tout aussi concluantes (si ce n'est plus -et bien évidemment, c'était à lui qu'il pensait en cet instant, au cas où on ne l'aurait pas compris). Les événements qui forgeaient sa légende ? L'oeuvre d'un barbu magicien, ni plus ni moins, rien dont il puisse être fier à titre personnel. Oui, il avait délogé cette épée de malheur de son rocher, mais et après ? Quelle importance est-ce que ça faisait, dans le fond ? Une importance franchement minime aux yeux de Méléagant.

Décider, de son plein gré, de se laisser adouber par ce roi de façade, le tout pour partir à la chasse à la chimère (car c'est ce qu'était le Graal, au bout du compte, une chimère inaccessible sur laquelle personne ne mettrait jamais la main), c'était... d'une absurdité sans nom, mais Méléagant s'abstiendrait de le reprocher à son interlocuteur. Dans tous les cas, il tenait ce dernier pour quelqu'un d'infiniment naïf. Être naïf et vouloir satisfaire le roi Arthur, c'était quelque part dans la logique même des choses. Mais cette même naïveté pourrait bien jouer à l'avantage du chevalier de la table ronde à un moment ou à un autre. C'était une affaire de patience. Une patience dont Méléagant commençait à singulièrement manquer tant il avait attendu, déjà, mais il pouvait bien faire ce maigre effort en présence de Perceval tout de même.

-C'est de notre volonté et de notre loyauté que dépendent nombre de nos réussites... ou de nos échecs, observa Méléagant, qui n'oubliait pas de continuer de brosser son interlocuteur dans le sens du poil, avec l'espoir de tirer un jour le bénéfice de son discours. Un jour ou l'autre. Pas tout de suite, c'est évident, mais incessamment sous peu, il fallait l'espérer. Il ne faut jamais faillir, même quand l'impossible nous est demandé. Et dans notre situation présente, le terme "impossible" me semble parfaitement convenir.

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oncernant Perceval, Méléagant avait bien conscience du fait qu'il ne saurait avant la dernière minute s'il misait sur le bon cheval en l'espérant à ses côtés le moment venu, quand les camps se feraient distincts et qu'il serait temps de choisir le sien. Il avait gagné son respect et son admiration, ça avait même été d'une facilité déconcertante d'ailleurs, mais tout ne serait pas toujours aussi simple, car s'il avait obtenu la confiance pleine et entière de son interlocuteur, il y avait un bémol, et non des moindres : Perceval adressait tout autant de respect et d'admiration (si ce n'est plus... en vérité, c'était certainement plus) à son roi...

C'était pour cette raison que Méléagant n'oubliait pas, de temps à autre, de rappeler au chevalier de la table ronde combien la mission qui leur avait été confiée semblait vaine et même impossible. Viendrait bien un moment où il admettrait qu'il poursuivait une chimère et perdait son temps... mais ce n'était pas pour tout de suite, car quand Méléagant qualifia la quête du Graal d'impossible, le jeune chevalier n'oubliait pas d'exprimer sa foi dans cette traque impossible, et la confiance qu'il avait dans le succès de leurs multiples missions. Soit, tout ceci n'était jamais été qu'un jeu de patience. C'était le cas depuis le début, et ça continuerait toujours de l'être. Il fallait bien qu'il l'accepte et daigne faire avec.

-Vous avez plus de confiance que le roi lui-même, et c'est tout à votre honneur, observa-t-il alors, choisissant d'adopter une autre stratégie.

S'il ne pouvait ébranler la confiance de son interlocuteur en la "sainte" mission qui avait été confiée à tous les chevaliers de la table ronde, peut-être pouvait-il du moins semer un semblant de doute concernant le roi lui-même... Ce qui en réalité n'était pas une entreprise très difficile. Il suffisait de dire ce qui était. Arthur avait des doutes, Méléagant le savait. Et comment un roi décis pourrait-il porter haut sa couronne et les valeurs de son peuple ?

-Ces derniers temps, il m'est apparu... soucieux, observa-t-il ensuite comme s'il se faisait du soucis lui-même alors qu'il estimait bien au contraire ce constat parfaitement satisfaisant. N'avez-vous rien remarqué ?

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a réponse de Perceval n’était certes qu’en partie satisfaisante, mais Méléagant estimait tout de même qu’il y avait du bon à en tirer, et il comptait bien exploiter ce qu’il pouvait de cette réponse, justement. S’il ne pouvait pas agir trop frontalement envers son interlocuteur de crainte de l’inquiéter, de le braquer ou d’être trahi, il estimait en revanche qu’il ne lui serait sans doute pas difficile de le mener insidieusement sur la voie qui l’intéressait. En l’occurrence, il s’agissait avant tout de semer la graine du doute et des interrogations dans son esprit. Quand cette étape serait franchie, il avait envie de penser que le reste deviendrait presqu’aussitôt un jeu d’enfant. C’était sans doute trop présumer de son potentiel de persuasion, qui n’était sans doute pas si exceptionnel si l’on en jugeait seulement par son absence de popularité que devançait très largement – et de manière incontestable – Arthur.

Mais il en faudrait évidemment bien davantage pour ébranler la trop grande confiance (qu’il avait tout intérêt à avoir au vu du temps qu’il consacrait à ses projets), et à l’heure actuelle, il préférait considérer qu’il était sur la bonne voie plutôt que dans une impasse, même s’il n’oubliait tout de même pas de constater que ce n’était pas non plus la moitié du chemin qu’il avait franchie, déjà, mais sans doute davantage un tiers, si ce n’est un dixième. D’autant plus que pour quelques pas en avant, il y en avait bien souvent de nombreux autres en arrière, qui ne facilitaient absolument pas la situation.

Bref, il y avait en effet du bon et du mauvais à retirer de la réponse de Perceval. Il avait constater que le roi, dernièrement, tout auréolé de sa gloire qu’il puisse être, n’irradiait pas pour autant. Méléagant considérait que c’était un fait à côté duquel il était bien impossible de passer, mais il se disait aussi que quelqu’un tel que… Perceval aurait pu passer à côté. L’innocence porte des œillères, pas cette fois. Même si l’innocence, de la même façon, n’oublie jamais de trouver des excuses à autrui, et c’était ce que le jeune homme faisait présentement avec son roi. C’était sans doute un réflexe naturel, et il n’était pas le seul à en faire preuve, mais tout de même, il était lassant de constater combien cela ne posait jamais souci à ceux qui ne comprenaient pas les vertus du changement de trouver des circonstances atténuantes à ceux qui n’en méritaient pas.

-Bien sûr, bien sûr, répondit Méléagant, qui ne pouvait tout de même pas contredire trop brutalement son interlocuteur sous peine de le braquer. Mais je connais Arthur depuis très longtemps, maintenant et, pour ne rien vous cacher, je m’inquiète…

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éléagant sentait l'inquiétude poindre dans la réponse et dans le regard de son interlocuteur, et il en était infiniment satisfait, puisque c'était bien sûr l'effet escompté. Avec Perceval, le chevalier avait bien compris qu'il était nécessaire d'y aller en douceur. Placer le jeune homme devant le fait accompli, devant la nature réelle de ses ambitions, ne mènerait nulle part, en revanche, lui faire constater que le roi n'était peut-être plus en mesure d'accomplir convenablement les tâches qui lui incombaient, c'était une stratégie qui pouvait se révéler payante, et qui ne demandait pas grand effort à Méléagant par ailleurs. S'il feignait totalement son inquiétude, il ne mentait pas en revanche quant aux motifs de cette dernière. Méléagant l'avait constaté, et il savait qu'il n'était pas le seul : le roi était fatigué, en proie au doute, bref, fragilisé... ce qui signifiait que le moment serait bientôt venu de sévir.

A ce titre, Méléagant comptait bien être le premier à tirer son épingle du jeu. Présenter Arthur en monarque épuisé, et en contrepartie se présenter lui en homme avisé, en force imperturbable, capable de mener un peuple à la paix et à la victoire, voilà ce qu'il comptait faire. Si cela devait passer dans un premier temps par le souci sincère de Perceval, cela convenait tout à fait. Le principe restait quoi qu'il en soit d'altérer l'image que le jeune chevalier pouvait avoir de son roi, le faire descendre un minimum de son piedestal, tout simplement, et rappeler à Perceval qu'avant d'être un dirigeant, il était un homme, et un homme usé trop vite par une vie compliquée.

-Je l'ignore..., répondit Méléagant quand son interlocuteur lui demanda s'il leur était possible d'aider le roi en quoi que ce soit. Bien sûr, l'intention de Méléagant n'était clairement pas d'aider Arthur, ceci dit, il admettait que pousser Perceval à nuire au roi en le convainquant qu'il était en train de l'aider était une perspective séduisante. Mais il devait y réfléchir plus avant néanmoins. Décider d'un plan sur le vif n'aurait pas grand intérêt. Je crois que pour l'heure, le roi est le seul à pouvoir se porter secours.

Ce qui n'était pas faux aux yeux de Méléagant. Cela dit il ferait bien sûr en sorte qu'il n'y parvienne pas.

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e pire, c'est que Méléagant était intimement convaincu qu'il n'y avait vraiment pas la moindre forme d'ironie dans le propos de son interlocuteur quand ce dernier affirmait que la situation du roi le peinait sincèrement... Beaucoup aurait peut-être usé de sarcasme pour prononcer les mêmes mots, mais pas le parangon d'innocence et de naïveté qu'était le chevalier Perceval. Soit, s'il voulait éprouver de la tristesse et de l'empathie, c'était son problème, l'essentiel, c'était qu'il le croie et donc admette le fait, peu importe la manière, que le roi était fatigué et traversait une passe difficile, sans que personne ne puisse lui apporter directement le moindre secours.

-En effet, c'est le mieux que nous puissions faire pour le moment, reconnut Méléagant sans le penser.

Il n'avait aucune forme d'intention de soutenir Arthur, mais ce n'était pas très important. Il fallait y aller progressivement. Pour le moment, il était important que Méléagant affiche un sourire sincère concernant son roi, dont personne, jamais, n'oserait douter, ne serait-ce qu'une seule seconde. Il procédait par étape, car si la candeur de Perceval se devait d'être exploitée, elle pourrait bien se retourner contre lui pour peu qu'il décide de pousser le bouchon un peu trop loin...

-Je compte sur vous pour ne rien dire au roi de ce que je viens de vous confier, ajouta-t-il tout de même, afin que la situation ne finisse pas finalement par se retourner contre lui, ce qui était malheureusement chose envisageable. Cela ne ferait sans doute que le faire douter encore davantage de lui-même.

Ce pourrait être une bonne chose en soi, d'autant que les propos de Méléagant n'étaient pas fondés sur du vide non plus et partait d'un fond de vérité, véritablement. Mais ce n'était pas un risque qu'il se sentait de prendre dans l'immédiat. Non, il préférait, pour le moment, que son jeune interlocuteur reste muet mais surtout à l'écoute, tant qu'à faire. Pour le reste, il en ferait son affaire en temps et en heure. Il était patient... Patient mais tout de même soucieux de voir son heure de gloire approcher enfin, une bonne fois pour toutes. Parce qu'il estimait avoir attendu bien assez longtemps comme cela, à voir un autre homme usurper sa place, accaparer celle qui aurait dû être sa femme... C'était assez.

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éléagant hocha la tête, bien sûr satisfait de la réponse du jeune chevalier. S'il comptait bien lui mettre dans l'esprit toutes les idées les plus susceptibles de le retourner un jour contre Arthur sans même qu'il s'en rende compte, il serait évidemment dommageable que ses manigances arrivent aux oreilles de qui que ce soit. Il se devait de faire preuve d'une prudence infinie, et pour cela, il se devait de compter sur la discrétion de son jeune interlocuteur. Bien sûr, quand ce dernier affirmait qu'il garderait le silence, rien ne garantissait à Méléagant qu'il tiendrait parole, mais il pensait connaître suffisamment Perceval à ce jour pour ne pas avoir trop de doutes sur la question. Tant qu'il se complairait à penser que la requête de son aînée était exposée dans l'intérêt du roi, il n'y contreviendrait pas.

Perceval enchaîna en demandant s'ils ne devraient pas demander l'aide de Merlin. Quand il le voulait, le jeune homme avait de la suite dans les idées. Méléagant ne saurait trop dire encore si c'était une bonne ou une mauvaise chose. Ceci dit, le chevalier savait au moins une chose à coup sûr : impliquer Merlin serait la pire chose à faire. D'autant plus que si Méléagant avait su duper de nombreuses personnes, le roi y compris, en dépit de son passé tumultueux, Merlin ne s'y était sans doute pas laissé prendre aussi bien que d'autres... La magie avait son utilité, et Méléagant comptait bien l'utiliser à ses propres fins, par l'intermédiaire de Morgane, mais dans l'affaire qui les concernait, il ne fallait surtout pas que Perceval aille jusqu'au bout de son idée et choisisse d'aller à la rencontre du vieux magicien pour lui en parler directement.

-Ce serait une possibilité, j'imagine, répondit Méléagant, prenant tout de même la peine de faire mine d'y réfléchir, pour ne pas rejeter d'office l'idée, ce qui passerait certainement pour trop suspect - et à juste titre, bien évidemment. Mais je ne suis pas convaincu que ce soit la bonne solution. Pour le bien du roi, j'ose espérer qu'il retrouvera la flamme qui l'animait jusqu'alors sans que celle-ci ait besoin d'être créée artificiellement... Je trouverais ça, par certains aspects... malhonnête.

Et c'était lui qui parlait de malhonnêteté... on faisait difficilement plus de mauvaise foi que chez Méléagant.

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erceval avait beau être un jeune homme naïf, il n'en était pas moins intelligent (les deux n'étaient malheureusement pas incompatibles, contrairement à ce que l'on pourrait croire), Méléagant avait conscience, par conséquent, qu'il avait tout intérêt à faire preuve de subtilité s'il voulait retourner convenablement le cerveau de son jeune interlocuteur sans qu'il finisse par se douter de quelque chose ou bien que ses manigances ne finissent irrémédiablement par se retourner contre lui.

Mais pour le moment, il gardait le sentiment d'avoir la situation bien en main, et il ferait ce qu'il faudrait pour que ça reste le cas. L'idée de Perceval, après tout, de faire appel à la magie afin de rendre au roi la foi qu'il aurait potentiellement perdue (ce qui n'était pas complètement faux, au passage, même si le chevalier de la table ronde en rajoutait évidemment, intentionnellement) était tout sauf stupide. Et c'était pour cette raison qu'il fallait savoir lui opposer des arguments qu'il serait bel et bien susceptible d'entendre. Et visiblement, sa réponse avait fait mouche, tant mieux, son optique était de ranger Perceval de son côté, pas de lui fournir des armes pour aider le roi à gagner en confiance et en puissance, comme s'il avait vraiment besoin de cela.

-J'en ai bien peur, oui, répondit Méléagant avec sérieux quand le jeune homme observa qu'il avait probablement raison.

Le probablement était sans doute de trop, encore, mais Méléagant ferait ce qu'il faudrait pour qu'il change pour de bon.

-Ne vous inquiétez pas trop de ce que je viens de vous dire, si vous voulez rendre service au roi, pour le moment, le plus important que vous ayez à faire est de vous acquitter de vos fonctions de chevalier du mieux possible, et je sais pertinemment que vous en êtes parfaitement capable. Vous l'avez bien assez prouvé, déjà.

C'était la vérité, en effet, mais si Méléagant prononçait ces mots, c'était surtout pour caresser le jeune homme dans le sens du poil afin de lui rappeler qu'il savait apprécier ses compétences à leur juste valeur. Et en effet, il saurait les mettre à profit le moment venu. Même si ce moment n'arriverait sans doute jamais assez vite, c'était ainsi, c'était un fait.

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éléagant n'était pas réellement certain que Perceval ait même constaté le compliment qu'il avait décidé de lui faire. La flatterie pouvait très bien fonctionner avec certains individus, mais de toute évidence, le jeune chevalier y était imperméable. Au fond, le chevalier aurait dû s'en douter, son camarade avait ce qu'il fallait d'innocence pour ne pas chercher la gloire pour la gloire, ou à être brossé dans le sens du poil... Cela ne l'empêcherait pas de lui dispenser quelques compliments de temps à autre, si cela pouvait entretenir leur "amitié", mais de toute évidence, s'il voulait se mettre pour de bon Perceval dans la poche, il faudrait qu'il envisage une stratégie un peu différente.

De toute évidente, Perceval était inquiet... Quelle idée... Au moins, c'était la preuve qu'il avait gobé son baratin (qui ne l'était qu'en partie, ceci dit, il y avait malgré tout un léger fond de vérité dans ce qu'il avait raconté), et qu'il était prêt à y croire. Maintenant, il fallait que son inquiétude et sa considération le fassent pencher du bon côté de la balance. De son côté de la balance, que son jeune interlocuteur, à un moment ou à un autre, convienne que le mieux qui puisse arriver à Arthur, cet homme qu'il aimait et respectait tant, était de laisser sa couronne à quelqu'un de plus disposé à endosser les responsabilités de roi. Enfin, chaque chose en son temps. Quoi qu'il en soit, Méléagant avait la nette impression que leur discussion n'avait pas été vaine. Maintenant, c'était un processus à entretenir, avec stratégie et prudence.

-Je le souhaite également. J'espère par-dessus tout que notre roi puisse avoir confiance en tous ses chevaliers. Malheureusement, en ces temps troublés, j'ai peur qu'il ne sache accorder sa confiance aux bonnes personnes. Ou du moins que certains profitent de son état pour en tirer avantage.

Au fond, Méléagant serait assez curieux de savoir ce que Perceval pensait des autres chevaliers de la table ronde, mais quelque chose lui disait qu'il ne devait avoir d'animosité pour aucun d'entre eux, car il faudrait pour cela qu'un fond de défiance ou d'antipathie soient capables de se loger en ce coeur d'une pureté inconcevable. Et franchement, de ce qu'il découvrait du jeune homme au fil de leurs conversations, ça n'avait pas du tout l'air d'être le cas.

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