Une piste inconnue [pv Gaspard Gabet]

« Ainsi viens-tu ! Mon brave chevalier ! Un jour viendras-tu, me libérée ! Aussi sûr que le soleil éclaire, nos cœurs battrons en même temps, car à jamais nous nous aimerons… »

Ainsi chantait cette gracieuse jeune fille. Accompagné de quelques ménestrels de bon marché, l’enfant qui fut à l’instant serveuse, chantonnait pour apporter quelques gaités dans cette taverne. Dure de dire si elle avait le moindre succès. Oh elle chantait bien, il n’y avait aucun doute. Une vraie fée des sources. Mais on dirait que peu de monde fit attention à ses paroles. Chacun avachit sur sa chaise, grognait au-dessus de leur choppe quelques plaintes à leurs camarades. Oh moins, la soirée fut un temps soit peu tranquille. Pas une parole en l’air, pas un point donné violemment sur la table. Juste quelques rares rires tout au plus. Les gens se tenaient au moins en paix. Sans doute fatigué après une dure journée de labeur.
L’endroit n’était pas déplaisant. Sans doute bénéficiant le fait d’être dans la zone d’influence de Camelot, l’enseigne semblait respectable. On y décelait juste une odeur de viande grillée et de bière dans l’air alors qu’ailleurs, on pouvait sentir aussi une odeur d’urine à cause de joyeux fêtards qui se soulageaient même dans la salle principale. Ici non, on sentait sinon le vieux bois à cause des poutres qui soutenaient aussi bien les murs que le toit. Et l’odeur de vieille cire également des rares bougies piégées dans des lanternes accrochées et suspendues au-dessus.

Mais le coin le plus plaisant étant sans doute celui près de l’âtre. A la fois chaleureux et douillet, la cheminée d’aspect rustique, surmonté d’une planche en boit et d’un vieux trophée de chasse, proposait un certain réconfort. Près d’elle, on avait disposé quelques chaises pour profiter de son feu chatoyant. Mais une seule fut occupée. Un homme, les vêtements usés qui laissait son regard se perdre à travers les flammes dansantes, faisant crépitaient le bois sec qui l’alimentait. La chaleur prit l’apparence de douces caresses qui venaient chatouiller le visage marqué du paysan. Mais malgré ces gestes chaleureux, il garda la mine basse, le regard sombre. On aurait dit que son corps criait fatigue et suppliait le repos.
Il resta donc ainsi, écoutant au loin la chanson qui se poursuivait dans son dos, ignorant les quelques clients présents dont leurs paroles n’eurent aucun sens pour lui.

« Tu es toujours là ! Aussi brave que sage ! Tu m’as sauvé la vie, en cette belle nuit…»

Perelois, car tel était son nom, pouvait-il se reconnaitre dans cette ballade ? Il n’était pas chevalier, ni même un héros qu’on ventait les mérites. Et apparemment, seuls ceux des légendes arrivaient à sauver sans mal leur bien aimée et un peuple. Lui… Il n’était qu’un paysan ayant tout perdu. Le peu qu’on eut accordé à ce modeste homme de la Terre, on venait de le lui prendre. Deux fois, oui deux fois on lui privait d’une raison de vivre. Qui se soucierait ? Un vulgaire gueux dont on ne chanterait pas la légende.
Etre immortalisé en légende ou non n’était pas son affaire. Ce qu’il voulait, c’était de connaître le bonheur avant, et à présent, le soulagement que pouvait promettre la vengeance. Mais maintenant, il avait le sentiment de ne plus rien avoir. Mélancoliquement alors, il apporta sa chope à ses lèvres, buvant une petite gorgée de sa cervoise.

Peut-être était-ce dû à l’alcool, la tristesse de la soirée ou la chanson, mais les flammes semblèrent changées. Au lieu de danser sur le corps en bois, elles semblaient s’improvisé en acteur de théâtre. Perelois cru entendre les échos lointains de ses souvenirs. Les cris de douleurs, le son des armes qui s’entrechoquaient, le ricanement inhumain d’un ennemi innommable… Et les flammes qui tentaient d’imiter les personnages qui prononçaient ces sons. Jouant des êtres difforme, se pliant sous la douleur et la rage. Puis, au fur et à mesure que la scène s’intensifier, tout s’arrêta quand la vielle porte en bois grinça derrière lui.

On aurait dit qu’un silence de mort s’installa en ces lieux. Était-ce un messager des enfers qui venait frapper la taverne ? Non, car on entendait quelques chuchotements, et la chanson se poursuit, même si elle perdait en puissance. Perelois lui, semblait indifférent au nouveau venu.