Vieille amitié ne craint pas la rouille | Ombeline & Calogrenant

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mbeline savait pertinemment que ce voyage n'avait rien de raisonnable, mais elle avait choisi malgré tout, en son âme et conscience, de se déplacer jusqu'à Camelot en dépit des protestations de son frère. Bien sûr, elle non plus ne voulait pas que quoi que ce soit arrive à leur enfant à naître, c'était même la dernière chose qu'elle voulait, mais elle ne pensait pas prendre beaucoup de risques en faisant le déplacement comme elle l'avait fait, c'est-à-dire au prix de nombreuses escales et d'un rythme de voyage plus lent qu'à l'accoutumée.

C'était comme ça, elle ne réussissait pas à se défaire de ses vieilles habitudes. Bien sûr, elle savait pertinemment que Pellinore pourrait tout à fait s'acquitter des tâches qu'elle faisait elle-même. Ce n'était pas par manque de confiance en lui qu'elle s'obstinait à assister à tous les voyages diplomatiques à Camelot qu'elle avait organisés avant d'apprendre qu'elle était enceinte : c'était son domaine de prédilection, et elle adorait ça. Pellinore et elle s'étaient toujours parfaitement entendus sur la question. Le jeune homme était très bon stratège, mais la diplomatie avait toujous été son domaine de prédilection à elle. Ils se complétaient à la perfection sur ce point, et elle n'avait pas envie de perdre le rôle qui avait toujours été le sien depuis la mort de son père sous le prétexte qu'elle devenait mère, et ne pourrait par conséquent s'acquitter d'aucune autre tâche que celles qui avaient trait à la maternité.

Bref, elle avait donc fait le chemin jusqu'à Camelot, où elle avait planifié un entretien avec le roi en personne. Mais il était prévu pour le lendemain. En attendant, il ne lui restait qu'à rejoindre ses appartements, qui avaient été spécialement aménagés à cet effet. Elle avait décidé de se promener un peu quand son chemin en croisa un autre. Un sourire orna d'office ses lèvres en reconnaissant Calogrenant. Même s'il était tout naturel qu'ils se retrouvent à Camelot, leurs chemins se croisaient au petit bonheur de la chance, et elle ne savait pas qu'elle tomberait sur lui. Elle en était ravie.

-Je ne suis là que pour quelques jours. Si j'avais su que tu serais là aussi, je t'en aurais d'office informée. Et cesse donc de me flatter, vois comme je suis énorme, ne prétends donc pas que je suis radieuse, plaisanta-t-elle. Comment vas-tu depuis la dernière fois ?

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mbeline sourit à l'observation - au demeurant tout à fait juste - de son ami. Il avait effectivement raison. De ses amis, elle acceptait plus de largesses (c'était le cas de le dire). Calogrenant aurait observé qu'elle était énorme, elle n'en aurait pas pris ombrage, mais ce n'était absolument pas un luxe donné à tous, loin de là. Ombeline d'Autice était une femme très fière, et même s'il était flagrant que le petit humain qui grandissait dans son ventre altérait son physique, elle refuserait catégoriquement qu'on lui attribue des adjectifs qui ne seraient pas là pour louer son intellect ou sa beauté. D'ailleurs, enceinte ou non, Ombeline se savait belle et ne laisserait certainement pas qui que ce soit dire le contraire. On a son ego ou on ne l'a pas, et le sien avait tendance à être disproportionné.

Oui, un autre chevalie (ou n'importe quel gentilhomme) l'aurait qualifié d'énorme, il en aurait pris pour son grade, Calogrenant avait raison de le souligner. Néanmoins, Calogrenant était loin d'être n'importe qui. Et sa seule présence lui faisait beaucoup de bien. A coup sûr, il allait rendre son séjour à Camelot beaucoup moins pénible. Du moins s'ils devaient avoir l'occasion de se voir régulièrement durant ce laps de temps, ce qu'elle espérait sincèrement. Le temps lui était toujours beaucoup trop long quand elle était loin d'Autice mais surtout loin de Pellinore.

-Penses-tu vraiment que tes "besognes de chevalier" n'ont rien pour m'intéresser ? Je ne connais pas vocation plus passionnante que la tienne, jamais tu ne sauras me faire croire que tu ne vis pas les aventures les plus exaltantes quand moi-même je traîne de plus en plus laborieusement mon ventre plein en gérant des affaires malheureusement bien trop diplomatiques pour être qualifiées de fascinantes.

Elle ne le disait pas pour le flatter, mais c'était la réalité. Calogrenant était un chevalier, l'on faisait difficilement métier plus noble. La simple évocation du titre de chevalier était capable de faire briller n'importe quel regard, et Ombeline ne laisserait certainement pas son ami diminuer le rôle qu'il tenait et l'importance de ce rôle. Elle avait du temps devant elle de toute façon, alors elle ne resterait pas sur sa faim. Elle marqua une pause.

-Est-ce que tu es disponible ce soir ? Je ne dois pas rencontrer le roi avant demain, je voudrais célébrer nos retrouvailles comme il se doit.

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mbeline n'était pas le genre de femme à prendre un "non" pour une réponse. Elle s'arrangeait, généralement, à les transformer en "oui", dans la mesure où ses interlocuteurs y étaient réceptifs, bien sûr. Alors, si Calogrenant avait dû refuser sa proposition ou lui répondre qu'il avait mieux à faire, elle aurait insisté jusqu'à ce qu'il cède. Ils n'avaient que trop rarement l'occasion de se voir et de parler ensemble, elle ne pouvait pas laisser passer cette opportunité de tout apprendre de ce qui s'était passé dans la vie de son ami ces temps derniers. Et même si Calogrenant était pour le moment peu bavard, au point même de négliger les perches qu'elle lui tendait pourtant afin de l'inciter à parler, elle comptait bien avoir rattrapé tout le temps perdu au terme de cette soirée, soirée qu'il acceptait de lui consacrer, pour son plus grand plaisir.

-Je n'en attendais pas moins de toi, répondit-elle, ravie en lui attrapant le bras sans pudeur aucune. Méléagant était un ami de longue date, elle ne se voyait pas jouer les mijaurées avec lui, tout comme elle savait qu'elle pouvait s'en tenir au strict minimum concernant au rôle de veuve éplorée. Toute ambiguïté entre eux était levée depuis bien longtemps, s'il y en avait un jour eu, alors elle n'allait se priver d'aucun geste amical. Alors, où m'emmènes-tu ?

Ombeline était directive, mais en l'occurrence, elle admettait que c'était à l'homme de décider du bon déroulement de la soirée, d'autant plus qu'ils étaient sur son "territoire", pour ainsi dire. A Autice, elle aurait pris les devants, mais à Camelot, elle avait ses entrées, pas son pied à terre.

-Et ne pense pas que parce que tu as éludé mes questions implicites, je vais cesser de t'en poser. Je veux toujours tout savoir de ta vie de chevalier. Et avant que tu prétendes le contraire, sache que ça m'intéresse réellement.

En retour, Ombeline serait ravie de lui partager les détails de son existence, même si elle serait bien contrainte, malheureusement, de les édulcorer. Elle avait beau apprécier très sincèrement Calogrenant, il y avait des choses qu'elle ne pouvait tout simplement pas dire ou faire, comme lui parler de l'identité du véritable père de son futur enfant et de ses manigances concernant Obéron Gabet. Certains secrets devaient le demeurer, même si ce n'était pas toujours simple.

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mbeline hocha la tête quand Calogrenant, observant qu'elle le prenait de court, lui assura tout de même qu'il leur trouverait l'endroit idéal où se rendre. Elle lui faisait confiance. Sans être difficile, elle savait où était sa place, et ne se laisserait bien évidemment pas entraîner n'importe où, mais peut-être à plus d'endroit qu'on pourrait le soupçonner, par seul goût du danger, faiblesse qu'Ombeline avait toujours possédée et qui ne la désertait toujours pas, même enceinte. Certes, sa nouvelle condition l'invitait à une prudence qui ne lui avait pas toujours été coutumière, mais elle voulait croire que dans tous les cas, jamais le chevalier n'irait la mettre dans une position qui en quoi que ce soit puisse lui être un peu trop inconfortable.

Tandis que Calogrenant lui assurait que la vie de chevalier n'était pas si passionnante, elle considérait que son discours contredisait très exactement tout ce qu'il était en train de dire. Ombeline, parfois, pour tout dire, voudrait être à sa place. Elle aimait être dans le feu de l'action, raison pour laquelle elle prenait soin de s'affirmer autant que son sexe le lui permettait dans la gestion de ses terres et dans son avancement sur l'échiquier politique, mais elle était assez convaincue qu'elle aurait aimé faire ce que Calogrenant faisait, si elle était née de l'autre côté de la barrière : s'entraîner, guerroyer, partir en mission, fructueuses ou non... elle voyait mal en quoi cela pouvait vraiment être ennuyeux.

Certes, l'échec de certaines mission devait être désagréable à vivre, elle pouvait consentir à le comprendre, et possible que la routine s'installe même chez les chevaliers, mais ce n'en était pas moins une vocation cent fois plus exaltante que celle de beaucoup, qui s'épuisaient à la tâche sans jamais être auréolé de la moindre gloire.

-Même quand tu cherches à rendre la chose la moins intéressante possible, je continue de la trouver passionnante, et tu ne saurais imaginer combien je t'envie ce train de vie que tu sembles si dépité de devoir adopter, remarqua Ombeline avec un sourire complice. Parle-moi au moins de ta dernière mission. Où le roi t'a-t-il envoyé, cette fois ?

Elle ne voulait pas l'assommer de questions si vraiment il ne voulait pas lui donner de détails, mais Calogrenant était son ami, et pour elle c'était tout naturel que de rattraper le temps perdu de la sorte.

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mbeline écouta avec la plus grande attention la réponse de son interlocuteur. Elle voulait bien admettre que faire un si long voyage dans le seul but de s'assurer que tout allait bien devait avoir quelque chose de frustrant. Il était préférable, pour tout le monde, qu'il revienne à Camelot sans l'ombre d'une information, sans avoir eu besoin de corriger le moindre Saxon qui représenterait éventuellement une menace pour le royaume, mais elle pouvait se douter que le chevalier aurait voulu, au fond, se frotter à quelques amis et les combattre le plus vaillamment du monde. Comment le lui reprocher ? Elle n'avait aucune difficulté à se mettre à sa place, loin de là. En même temps, ce n'était pas pour rien s'ils s'entendaient si bien. Ils avaient des points de vue plutôt similaires, sur bien des sujets.

Elle avait tendance à vouloir adopter un comportement tout à fait similaire... à son échelle et selon ses propres tâches et responsabilités bien sûr : le besoin constant de se distinguer, quoi qu'il advienne, c'était un tempérament dans lequel elle n'avait pas le moindre mal à se reconnaître, raison pour laquelle il ne lui était pas bien difficile de se mettre à la place de Calogrenant. Il y avait toujours une certaine frustration quand l'ambition frappait à votre porte. Car même quand on pourrait se montrer satisfait, on ne l'était jamais complètement. Il en fallait toujours plus, il fallait toujours réussir davantage, il fallait toujours obtenir un statut supérieur à celui que l'on avait déjà. Des personnes comme eux ne seraient jamais satisfaits. Ils en semblaient presque... naturellement incapables.

-Une bonne chose, c'est certain, mais je peux comprendre ta frustration, quel honneur cela aurait été que d'être l'homme qui aurait pourfendu les quelques rares Saxons trop téméraires encore pour oser s'aventurer sur nos terres. Elle afficha un fin sourire. Qui sait, la prochaine fois, tu trouveras peut-être adversaire à qui te frotter ? suggéra-t-elle. Comment est-ce, Camlann ? Crois-le ou non, je n'ai jamais eu l'occasion d'y mettre les pieds.

Ombeline voyageait autant qu'elle le pouvait (même si ses trajets allaient être largement réduits prochainement, c'était l'évidence même), s'arrangeait pour organiser le plus de rencontres diplomatiques qu'elle le pouvait avec les territoires frontaliers, convaincue que c'était une nécessité quand on voulait se garantir une place de choix sur l'échiquier politique. Mais Camlann n'avait jamais fait partie de ses destinations.

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haque lieu avait son histoire, et quiconque y tendait l'oreille, prenait le soin de demeurer attentif à ses impressions les plus primitives pouvait en être imprégné, c'était une chose dont Ombeline avait l'absolue certitude, aussi elle croyait sans mal le discours de son interlocuteur quand il affirmait que l'on pouvait encore ressentir en Camlann les horreurs qui s'y étaient produites, le sang qui avait irrigué ces terres... C'était une chose dans laquelle Ombeline croyait intimement, ne serait-ce que pour le constater tous les jours en territoire d'Autice. Des terres auxquelles elle tentait tant bien que mal de conférer une valeur, mais dont on ne pouvait nier l'obscure histoire. Les ruines n'étaient plus apparentes, mais les cris et la douleur hantaient la mémoire des plus avertis.

Semble-t-il que Camlann n'était pas encore prête à trouver la paix qu'elle avait mérité après tant de fureurs et de combats. Même quand la paix était revenu, il fallait à la plaie le temps de cicatriser, et là encore, une marque demeurait. Le portrait que le chevalier dressait des lieux ne donnait pas forcément envie de s'y aventurer, c'est un fait, pourtant, Ombeline continuait d'y trouver de l'intérêt, et elle songeait que si l'occasion devait lui en être donnée, elle apprécierait de découvrir cet endroit de ses propres yeux. Elle n'aurait peut-être absolument rien à en tirer, mais elle n'en était pas moins curieuse... Mais cela attendrait, elle devait déjà réduire le nombre de ses allées et venues en dehors de ses terres, elle avait plutôt intérêt de faire en sorte que chacune d'entre elles soit forte d'un intérêt indiscutable.

-Sans doute, répondit Ombeline avec un sourire quand Calogrenant ajouta que ce genre d'endroits n'étaient pas pour une "dame".

Et elle estimait en être une, oui, elle ne jouait pas les garçons manqués, elle aimait conserver les attraits et les caractéristiques qu'on attribuait aisément à son sexe, mais tout en ne niant pas son statut de dame, elle voulait être la plus grande de toutes, et le danger ne lui faisait pas peur.

-Mais je ne suis pas une dame comme les autres. Je suis une survivante, une souveraine, une mère bientôt. Les lieux hantés ne m'ont jamais fait peur. Dans le cas contraire, j'aurais quitté Autice de longue date, affirma-t-elle avec un sourire.

Tout en sachant qu'elle n'avait pas besoin de se défendre ou de se justifier, car Calogrenant la connaissait bien, il savait très exactement quel genre de femme elle était, et c'était bien pour cette raison, d'ailleurs, qu'il s'était permis une remarque de ce genre à son adresse. Il savait comment elle fonctionnait.

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mbeline afficha un sourire en coin quand Méléagant lui assura - sans le penser très certainement - qu'elle était terrifiante et intimidante. La jeune femme ne le disait pas en le pensant, et si d'autres en prendraient peut-être ombrage en le prenant au mot, elle aurait plutôt tendance à se vexer de l'entendre manier l'ironie quand à un sujet qu'elle n'estimait pas risible.

Mais non, elle n'en prenait pas ombrage, uniquement parce qu'il s'agissait de Calogrenant et qu'ils étaient amis depuis suffisamment longtemps à présent pour qu'il fasse partie de ces rares personnes qui étaient en droit de lui adresser ce genre de remarques sans accuser ses foudres (et ces personnes n'étaient décidément pas bien nombreuses, autant le dire, Ombeline d'Autice était d'une susceptibilité remarquable.

Pour autant, et quand bien même il pensait l'inverse - ou bien du moins ne le pensait-il pas tout à fait -, Ombeline, elle, voulait croire que ces termes ne lui convenaient pas si mal. Terrifiante peut-être pas, son but n'était pas de faire peur à qui que ce soit (même si elle avait envie de croire que quiconque la connaîtrait mieux et saurait de quoi elle avait déjà été capable, avait conscience de tout le sang qu'elle avait sur les mains, se dirait bel et bien qu'elle était terrifiante, et que ce serait une erreur d'assumer avec légèreté qu'elle était inoffensive).

Intimidante, en revanche, elle cherchait bel et bien à l'être, car elle considérait que c'était de cette manière que l'on tenait ses ouailles au respect, et elle n'avait pas l'intention de laisser à qui que ce soit le prétexte de lui marcher sur les pieds, certainement pas.

-J'aimerais que tu ne sois pas en train de me mentir à ce point effrontément, répliqua la jeune femme sans pour autant se départir de son sourire. Tu n'aurais pas pu me faire plus grand compliment en le pensant vraiment. Mais si ce n'est pas encore le cas, cela finira bien par arriver.

Elle marqua une légère pause, considéra son interlocuteur du regard.

- J'espère ne jamais te donner l'occasion de me trouver terrifiante, cela dit, tu ne t'en remettrais certainement pas, et je te préfère à ton aise que tremblant de terreur à la seule perspective de ma présence.

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h, je suis loin d'être de ton avis : on ne peut inspirer le respect sans inspirer la peur, ce sont deux émotions intrinsèquement liées.

Peut-être Ombeline avait-elle tort, mais c'était bel et bien de cette manière qu'elle voyait les choses, et pour cette raison, elle ne tenait pas seulement à ce qu'on la considère comme quelqu'un de forte ou de déterminée (et elle n'était pas certaine, honnêtement, que beaucoup portent ce regard-là sur elle dans tous les cas) : elle voulait inquiéter, c'était cela qu'elle voulait, elle voulait que l'on redoute de prononcer son nom, et inspirer les légendes urbaines les plus abracadabrantesques du moment que l'on parlait d'elle.

Bien étrange choix pour une jeune femme de bonne famille ? Oui, sauf qu'elle n'était rien de cela. De bonne famille peut-être, c'est vrai, mais pour le reste, elle estimait valoir bien plus que le rôle auquel elle resterait cantonné si elle ne décidait pas d'elle-même - et accompagnée de son frère, cela va sans dire - de prendre les reines d'Autice. Rien ne lui était impossible, elle s'en était convaincue, mais si elle avait gagné cette certitude pour elle-même, elle tenait à présent à la transmettre également aux autres : ne serait-ce pas la moindre des choses ?

-J'estime plus nécessaire, alors que j'ai à charge des terres, des sujets et un nombre considérable d'individus qui comptent après moi, d'inspirer la crainte. Sur un champ de bataille, je me garderai bien de me faire remarquer, si cela devait être la condition de ma survie, mais à Autice... c'est une autre affaire. Les charges qui m'incombent exigent de participer à un jeu de pouvoir complexe et fastidieux... et si l'on ne veut pas se laisser avoir ou devenir la cible de toutes les manigances, il n'y a qu'une seule manière de faire.

Elle devrait peut-être se garder d'être à ce point directe, mais après tout, Calogrenant était son ami, et auprès des rares amis qu'elle possédait, elle estimait logique de se montrer tout à fait franche. Elle n'avait pas la moindre intention de lui dissimuler ses choix et ses décisions. Elle avait en revanche la ferme intention de se tenir à ces choix et à ces décisions. En parler, c'était aussi une manière de rester campé sur ses positions.

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-L'

on craint autrui de manières bien différentes, il n'y a pas qu'une seule manière d'éprouver de la peur. Ces personnes pour qui tu as tant d'estime, ne redoutes-tu pas de les décevoir, par exemple ? suggéra Ombeline afin d'appuyer son argument.

En vérité, il n'importait pas tant que Calogrenant soit d'accord avec elle. Si elle se sentait l'obligation de convaincre certaines personnes et se désolait quand elle n'y parvenait pas, ses amis avaient toujours son exception, de leur part, elle tolérait ce qu'elle n'acceptait pas chez d'autres. Et en effet, cela ne la dérangeait pas outre mesure que d'entendre Calogrenant confronter son opinion. C'était au contraire les débats d'idée qu'il leur arrivait d'avoir qui lui plaisaient tant dans leur relation... ce qui ne l'empêchait tout de même pas - car elle avait sa fierté, et qui n'était pas des moindres, de vouloir avoir raison envers et contre tout quoi qu'il puisse en être.

-En revanche, il est vrai que l'on peut tout à fait inspirer la crainte sans inspirer le respect... Quoique... Je ne redouterais jamais une personne que je n'estime pas... Elle ne mériterait pas ma peur. Elle haussa les épaules. Je te remercie sincèrement de m'autoriser à penser comme je l'entends, vraiment c'est courtois de ta part.

Elle le disait d'un ton taquin, mais en réalité, ils n'étaient pas si nombreux, ceux qui estimaient qu'elle était en droit de penser comme elle le voulait. Pour la plupart, ils s'octroyaient le droit de décider à sa place, et pensez bie qu'Ombeline s'en agaçait plus qu'autre chose. Elle était contrainte par son époque, certes, mais elle était surtout un esprit libre, et on ne pourrait certainement pas le lui ôter, peu importe les obstacles que l'on chercherait à mettre sur son chemin.

-Tu sais que tu devrais t'y intéresser tout de même. Des sujets, des terres, si on ne les a pas obtenus à la naissance, il faut les conquérir, voilà tout. Tu n'es pas non plus un paysan sorti de la fange, tu as un titre, tu n'aurais pas à faire grand-chose pour obtenir plus que ce que tu crois capable de mériter. Je pourrais même t'y aider d'ailleurs. Elle marqua une pause. Mais une fois de plus, merci de m'autoriser à faire les choses comme bon me semble, je ne sais vraiment pas comment je ferais sans ta sacrosainte bénédiction.

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ans les deux cas c'est de la crainte, se contenta de répliquer Ombeline, qui n'avait jamais pour habitude de faire dans la demi-mesure, et pour cause, ceux qui n'avaient que des moitiés d'opinion s'en tirer bien souvent d'une très mauvaise manière. Ses opinions à elle ne variaient pas, ou rarement, mais le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle s'y tenait fermement, et même si elles n'étaient pas toujours très valables, elle s'y accrochait fermement et les exprimait sans rougir - sauf bien sûr dans les occasions où tout le monde était à même d'admettre qu'il était plus que préférable de les taire.

-Tu sais que je fais du sarcasme depuis le berceau, je m'étonne que tu sembles ne le découvrir que maintenant, ajouta-t-elle avec un sourire amusé et complice.

Car en effet, c'était le cas. Elle devait savoir se tenir, bien sûr, à bien des égards et des circonstances, elles connaissait sa place et savait devoir la tenir, mais elle était tout de même, malgré tout, quelqu'un qui s'abandonnait aisément au cynisme en présence des personnes en qui elle se savait pouvoir avoir toute confiance, et c'est bien parce qu'elle avait toute confiance en Calogrenant qu'elle se permettait d'adopter un tel état d'esprit.

-Tu sais, que tu le croies ou non, c'est en fait une chance que tu as de ne pas te sentir valorisé au milieu de tous tes cousins - laisse-moi t'expliquer.

Elle marqua une pause.

- Tu mérites d'être considéré à ta juste valeur, et j'estime qu'il est terrible et injuste que l'on te considère si mal parmi les tiens, mais celles et ceux que l'on couvre d'éloges connaissent bien souvent une assez pitoyable destinée, ils se reposent sur leurs lauriers sous prétexte de n'avoir rien à prouver à personne.

Elle lui adressa un sourire encourageant.

- Toi, mon ami, tu as tout à prouver au monde, et je suis intimement convaincue du fait que tu y parviendras. D'une manière ou d'une autre, je le sais, tu y réussiras, et tu nous éblouiras tous... Enfin, les autres, moi je sais déjà pertinemment ce que tu vaux, ajouta-t-elle alors avec malice, ne disant rien à son ami qu'elle ne pense pas véritablement.

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aisons en sorte que cela n'arrive plus, alors, très cher, affirma Ombeline avec un sourire quand Calogrenant lui fit remarquer qu'il avait oublié le caractère mordant de son tempérament faute de la voir assez. Tu vas devoir me consacrer beaucoup plus de temps que tu ne le fais déjà, ajouta-t-elle, certes avec humour, mais sans rien cacher du fait que cela lui ferait très plaisir.

Oh, Pellinore détesterait probablement avoir vent de cette conversation, mais Ombeline n'en faisait qu'à sa tête, et la jeune femme s'était toujours mieux entendue avec les hommes qu'avec les femmes. Son amitié avec Calogrenant comptait suffisamment pour elle pour qu'elle souhaite vraiment prendre du temps pour lui, quand bien même ses propres drames et ses obligations l'éloignaient bien souvent de ce qu'elle désirait.

-Je n'ai pas probablement raison, j'ai raison, affirma Ombeline avec orgueil, pas parce qu'elle avait effectivement raison, mais parce qu'elle avait toujours pour principe d'avoir le dernier mot, même quand elle avait tort, c'était un fait. Et crois-moi, j'ai conscience de combien fragile est l'ego des hommes, je n'ai de cesse de nier celui des individus masculins autour de moi, c'est insupportable.

Elle le disait sans le penser. Ou du moins ça, elle était convaincue que les hommes souffraient d'un trop-plein d'ego... Mais en réalité, elle-même était quelqu'un de particulièrement égotique, elle n'était même probablement bien plus que ne l'étaient la plupart des hommes. De son côté, elle ne cherchait pas à blâmer Calogrenant. Elle tenait surtout à le charrier très gentiment, ça et rien d'autre.

-Je ne suis pas n'importe quelle amie, qui plus est. Je ne donne jamais de compliments, et encore moins à la légère. Ce n'est vraiment pas mon genre de brosser les autres dans le sens du poil, même les personnes que j'aime beaucoup.

C'était un fait, Ombeline avait toujours eu tendance à bousculer ses amis et à ne clairement pas les ménager. Elle estimait que c'était pour leur bien, vraiment, elle estimait que c'était pour les aider à s'améliorer. Mais en retour, elle savait aussi reconnaître les qualités des personnes qui lui étaient proches, comme c'était le cas de son interlocuteur.

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mbeline haussa les épaules, comme si les bouleversements qui l'attendaient n'était jamais qu'un détail, un détail parfaitement négligeable, et qu'elle pouvait parfaitement oublier. Ce n'était pas le cas, bien sûr, mais Ombeline refusait catégoriquement de laisser cet événement l'accaparer au point que ses responsabilités et ses ambitions deviennent secondaires. Elle était convaincue de pouvoir tout mener de front. Elle refusait de donner du crédit aux propos de son interlocuteur, par conséquent... Même s'il avait parfaitement raison, bien sûr.

-C'est toi qui oublie ma capacité à tout mener de front, affirma-t-elle en balayant d'office l'oidée que cette affirmation sera probablement très rapidement mise à mal par les circonstances. Elle aura toujours le temps d'admettre qu'elle avait eu tort, mais il ne fallait pas s'attendre à ce qu'elle le fasse dès maintenant.

Pour ce qui était de l'ego masculin dont elle déplorait l'existence, il était bien évidemment hypocrite d'affirmer qu'elle en était dépourvue alors qu'elle était terriblement orgueilleuse... orgueilleuse au possible. Mais elle estimait être une exception plus que la norme. Justement parce qu'elle considérait que pour évoluer dans un monde d'homme, elle n'avait pas d'autre choix que d'agir comme eux. Et jusqu'ici, même si on la rappelait constamment à son genre, elle considérait savoir tirer son épingle du jeu comme il se devait.

-Tu viens de m'insulter à peu près trois fois en trois phrases, tu es douée, rétorqua-t-elle. Et ne recommence pas en me disant que la susceptibilité est l'apanage des femmes ou ça va très mal se passer pour toi. Mon état ne m'empêchera pas d'accomplir et d'accomplir tous mes projets. Toutes les femmes ne peuvent pas se payer le luxe d'avoir de l'ego, parce que leur ego sont très vite étouffées... Je veux qu'on me brosse dans le sens du poil car je ne le suis jamais, ou bien pour les mauvaises raisons. Je ne veux pas que l'on complimente ma coiffure ou ma garde-tobe, je veux être admirée pour mes vraies qualités. Et pour ça, je dois me battre.

Et elle le prenait sans doute un peu trop à coeur, mais elle ne pouvait pas s'en empêcher. Elle ressentait toujours, constamment, le besoin de prouver sa légitimité, au-delà du nécessaire et du raisonnable.

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