Que tous les hommes soient frères, c'est le rêve des gens qui n'ont pas de frères. [pv Arthur <3]

M

organe trouvait toujours amusant d’entendre son demi-frère utiliser l’ironie, car ce n’était pas vraiment une méthode qu’il avait pour habitude d’employer, sans doute trop vicieuse pour les valeurs qu’il prétendait défendre et incarner (même si la fée, de son côté, n’y croyait pas une seule seconde). Il était toujours plaisant, de fait, de le voir jouer à un jeu qui ressemblait par certains aspects au sien. Elle s’en délectait plus qu’elle ne s’en agaçait. Plus elle aurait le sentiment de contrarier le roi, mieux elle se sentirait. Elle ne demandait rien de plus, rien de moins, son grand plaisir était de voir l’homme qu’elle abhorrait tant être mis au pied du mur et ne pas être capable de s’en rendre compte malgré tout. La chute serait brutale, violente, inévitable, et Morgane avait terriblement hâte que celle-ci arrive.

Elle la guettait avec une impatience qu’elle n’envisageait pas de nier un seul instant. Elle n’avait que cela pour le moment… avant la vraie déchéance, celle qui attisait son impatience. Celle qui adviendrait forcément. Parce qu’elle en avait décidé ainsi. Parce qu’elle refusait qu’il en soit autrement. Bref, Arthur qui ironisait, c’était un spectacle qu’elle adorait. Elle aurait été prête à payer pour lui, mais il le lui offrait gratuitement, et elle en profitait, spectatrice particulièrement attentive, et qui ne cachait rien de ce qu’elle trouvait de satisfaisant à cette situation. Elle ne savait pas s’il en ferait une coutume. Il fallait espérer que non, car si c’était un spectacle amusant, c’était également un spectacle dont il serait très facile de se lasser sur le long terme.

-Tu en perdrais bien moins si tu daignais seulement m’écouter plutôt que de m’obliger à répéter sans cesse les mêmes choses, répliqua Morgane d’un ton détendu quand Arthur ajouta qu’il n’avait pas de temps à perdre avec elle.

Bien sûr, elle en avait entièrement conscience, elle l’avait toujours su… mais elle s’en moquait, complètement, définitivement. Elle aimait faire perdre le temps du roi… cela avait le mérite de tuer le sien, et en conséquence, elle n’estimait pas que la moindre minute passée avec le monarque ait vraiment été perdue. Elle n’irait pas jusqu’à prétendre que jouer à ce petit jeu était ce qu’elle pouvait faire de mieux, elle avait des responsabilités, de vraies responsabilités, certes pas celles d’une reine, mais suffisantes, et largement, pour accaparer son attention… Mais elle ne serait plus tout à fait elle si elle ne faisait pas l’effort de déranger son roi de demi-frère… qui au passage, elle ne cesserait jamais de le répéter puisque c’était la pure et simple vérité. Il devrait, juste une fois, l’entendre, et alors, les cartes seraient redistribuées. Mais elle avait beau prétendre vouloir qu’Arthur écoute ses mises en garde, en vérité, elle préférait largement qu’il reste borné de la sorte. Ainsi gardait-elle toute la latitude nécessaire à ses propres plans.

-Mais puisque tu fais la sourde oreille, je continuerai d’empiéter sur ton précieux temps autant que je le souhaite.

Et elle y prendrait, bien évidemment, le plus malin des plaisirs, sans s’en cacher ne serait-ce qu’un instant.

code by Mandy

M

organe n'attendait bien évidemment pas après l'aval de son interlocuteur pour continuer ainsi qu'elle l'avait toujours fait. Continuer de rester sur le dos de son demi-frère, qui ne tenait absolument pas à accorder l'ombre du moindre crédit à ses propos, ça lui allait tout à fait. Elle ne demandait pas qu'il la croie, elle voulait juste susciter son exaspération, marteler le même message encore et encore, pour qu'il l'ait bien à l'esprit au moment de réaliser qu'elle avait eu entièrement raison, qu'elle ne l'avait pas dupé. Elle songeait que pour faire entendre raison, du moins cette raison à Arthur, elle aurait besoin d'aller loin, très loin. A ce stade, il faisait tant et tant la sourde oreille à ses avertissements qu'elle se disait que même si Morgane devait choisir d'apprendre à son interlocuteur que Mordred était toujours en vie et qu'elle oeuvrait à faire de lui le nouveau roi de Bretagne, il ne la croirait pas... mais elle n'avait tout de même pas l'intention de pousser le vice aussi loin. Ce serait prendre un risque qu'elle préférait éviter si elle le pouvait.

Dans tous les cas, il avait effectivement raison. Sur ce point du moins, oui, elle n'en ferait qu'à sa tête et ferait très précisément ce quelle avait décidé sans se soucier le moindre instant de l'opinion de son interlocuteur, et lui continuerait de faire la sourde oreille. Ainsi va la vie. Du moins leurs vies, jusqu'au jour où la vérité éclaterait, et où Arthur serait contraint et forcé d'y faire face... Ce jour-là, les choses seraient bien différentes, drastiquement différentes, et la dynamique quils avaient à l'heure actuelle lui manquerait, mais elle saurait se consoler avec la satisfaction d'avoir enfin obtenu sa vengeance. Enfin, son esprit serait en paix... cette paix qu'elle recherchait désespérément en semant les graines de la guerre dans tous les esprits, pourtant.

-Très bien, je me contenterais de rester dans ton sillage pour le simple plaisir de voir ton visage se décomposer le jour où ton univers s'effondrera... et por le bonheur de te porter le coup de grâce quand il ne te restera plus rien.

Elle n'était pas obligée de lui répéter ce qu'il savait déjà et décidait de ne pas entendre, certes, mais elle devait tout de même reconnaître que c'était beaucoup, beaucoup trop tentant... S'il n'entendait rien à ses petites joies quotidiennes, elle n'y pouvait pas grand-chose, après tout... Lui, n'avait pas vraiment de raisons de se réjouir, en même temps, c'est vrai.

-Mais tu sais, nous ne sommes pas toujours obligés de parler des mêmes choses. Je serais ravie d'avoir d'autres sortes de conversations avec toi, surtout si nous devons passer tant de temps ensemble. Elle marqua une pause. Je t'écoute, Arthur. De quoi voudrais-tu parler ?

code by Mandy

M

organe se contenta d'afficher une esquisse de sourire quand Arthur observa de façon assez évidente qu'il n'avait pas envie de parler avec elle dans tous les cas, et ce peu importe le sujet en question. Elle n'en doutait pas un seul instant, et c'était d'ailleurs pour elle un plaisir que d'en avoir conscience. Elle ne se lasserait jamais de voir leurs conversations l'incommoder compte tenu du fait que, de son côté, elle était absolument ravie de parler avec lui. Ce n'était pas la teneur de leurs discussions qui l'intéressait vraiment, mais bien davantage l'agacement que chacune d'elles suscitaient chez son demi-frère. Elle tirait sur la corde, encore et encore, et elle devait bien reconnaître qu'il était résistant. Mais la corde finirait par céder, indéniablement, et Morgane serait ravie d'assister à ce moment précis, même s'il devait ne durer qu'une fraction de seconde. Elle saurait s'en satisfaire toujours, parce qu'elle l'avait attendu toute sa vie, et savait donc l'apprécier à sa juste valeur.

Qu'il ait envie de parler avec elle ou non, il se prêtait au jeu, dans tous les cas, puisqu'il changeait bel et bien de sujet. C'était fait à sa manière bien à lui, évidemment, mais elle en était satisfaite malgré tout. Elle serait absolument ravie de lui parler de son quotidien. Car elle s'autorisait avec lui de lever les faux-semblants qu'elle conservait avec d'autres. Encore qu'ils n'étaient pas nombreux. Elle ne faisait pas vraiment un secret de ce que son mariage avec Urien lui inspirait d'indifférence, ni de ce qu'Yvain représentait de déception.

-Chaque seconde que je ne passe pas accrochée à tes bottes est du temps perdu, tu sais. Ceci étant dit, le territoire de Gorre se porte à merveille, chose dont tu dois avoir parfaitement conscience. Quant à Urien, il est toujours aussi désespérément aveugle à ton incompétence. Mais au moins aucun de nous deux ne se leurre sur les sentiments de l'autre.

Le sous-entendu était complètement adressé à Arthur et à sa relation avec Guenièvre mais, une fois n'est pas coutume, il ne s'en rendrait évidemment pas compte, ce qui était tant mieux, ce serait une manière beaucoup trop douce de lui apprendre la vérité, et la manière douce, ça n'avait jamais été le rayon de Morgane, même si on ne pourrait jamais lui reprocher d'avoir sonné l'alarme à plus d'une reprise. Comme toujours, elle serait ravie de rappeler qu'elle avait crié au loup bien avant qu'il ne réduise à néant tout le pâturage.

-Quant à mon fils - celui que tu n'as pas tué, bien sûr -, il est toujours aussi... Les mots me manquent pour exprimer toute l'indifférence qu'il m'inspire.

code by Mandy

M

organe se fichait bien du regard que les autres pouvaient poser sur son fils, elle se moquait autant de ses réussites que de ses échecs. Bien sûr, ses victoires façonnaient la réputation de leur famille, et elles étaient préférables, mais Morgane, même si son nom était rattaché au territoire de Gorre, n'éprouvait pour sa part aucune attache ni à ces terres, ni à son époux, ni à son fils. L'indifférence était bien le terme qui convenait. Elle ne s'agaçait pas de savoir son fils dans les petits papiers du roi - même si elle était convaincue qu'il en rajoutait -, à ses yeux, c'était une bonne chose, cela arrangerait sa situation future. Mais elle plaçait son intérêt et son énergie ailleurs. A cet autre fils dont il n'était pas question ici, puisqu'il était supposément mort, mais à qui devraient revenir tous ces compliments qu'Arthur adressait à présent à l'oubliable Yvain de Gorre.
-Quel chance il a, de ne recevoir de compliments que lorsque l'on espère m'agacer en les formulant, répondit Morgane avec malice.

Malice et mauvaise foi. Elle savait bien qu'Arthur était en fait totalement sincère et pensait bel et bien ce qu'il disait d'Yvain, sans doute parce qu'il lui arrivait de faire quelques petites merveilles autour de la table ronde (quand bien même Urien rapportait de ses exploits un récit bien plus sévère et bien moins élogieux pour sa part)... Mais ça ne faisait pas de lui un héros. Cela ne faisait de lui qu'un mouton de plus courant après une relique stupide, cela ne faisait de lui qu'un dévot de plus à une Couronne qui n'était guère méritée et finirait tôt ou tard par être retirée au roi pour revenir à quelqu'un qui la méritait de façon bien plus légitime. Il servait une cause, mais une cause de compatis.

-Nous avons peut-être ceci en commun, qui sait, nous sommes tous les deux aveugles aux personnes qui nous entourent.

Il était bien possible en effet que Morgane soit dans l'incapacité de reconnaître leur valeur, tout comme il était pour le moins certain qu'Arthur, de son côté, n'était pas capable de voir qu'il accordait justement de la valeur à des personnes qui ne méritaient guère... En vérité, ils se complétaient bien, et une part d'eux devait forcément le savoir, cette part confirmée et justifié par l'existence de Mordred.

-En vérité, tu as raison, et je veux te l'entendre dire. "Merci de tout ce que ton fils apporte à mon royaume", je t'en prie, je brûle de l'entendre et de le lui répéter. Il en sera si fier.

Et, bien sûr, ce n'était plus du tout d'Yvain qu'il était encore question. En fait, il n'était jamais véritablement question de lui.

code by Mandy

U

ser de sous-entendus qu'elle était la seule capable de comprendre n'était qu'à moitié satisfaisant pour Morgane, et l'envie de lui apprendre toute la vérité, de le placer face à l'étendue de son ignorance, face à sa plus grande erreur, était chaque jour plus tentante. Mais elle ne pouvait pas se le permettre. A la place, elle appréciait de penser que, tôt ou tard, quand la vérité éclaterait enfin et qu'il n'aurait d'autre choix que d'y faire face, il repenserait à leurs conversations et au véritable double-sens qu'elles revêtaient. Et alors, ce serait infiniment satisfaisant pour elle de le voir comprendre que les réponses étaient sous ses yeux depuis le début, et qu'il avait attendu qu'il soit trop tard pour y réagir, pour faire quoi que ce soit, en réalité. Et c'était ça, le truc. Pour le moment, il était tôt, encore beaucoup trop tôt pour le laisser deviner la vérité.

-Je pense au contraire que le message aurait bien plus de chances d'arriver à destination si je me chargeais de le délivrer, répondit-elle pour en rajouter encore une couche, sans laisser, bien sûr, les indices suffisants qui pourraient ne serait-ce que laisser soupçonner à Arthur sa connivence avec Mordred, et au-delà de ça, le fait que Mordred avait survécu tout court. Mais soit, comme tu voudras. Tu as tort de penser, au demeurant, que faire plaisir à mon fils ne soit pas au coeur de mes préoccupations. L'avenir de mon fils est décisif, pas seulement pour moi mais pour nous tous, crois-moi, j'y suis attachée plus qu'à ma propre vie.

Semblerait-elle contradictoire ? Oui, évidemment. Pourtant, elle était on ne peut plus sincère. Elle semait des indices çà et là. Elle ne pouvait pas s'en empêcher. C'était un sujet qui reviendrait toujours sur le tapis, forcément, jusqu'à la fin, il ne pouvait en être autrement.

-Je soupçonne d'avance que tu ne seras pas capable de comprendre. Il faut avoir eu un enfant et ne pas l'avoir envoyé à la mort pour cela, ajouta-t-elle avec une certaine légèreté qui ne convenait sans doute pas aux circonstances.

C'était même certain, mais elle pouvait en parler sans douleur, avec de la rancoeur, évidemment, mais sans heurt, car elle possédait ce pouvoir dont elle se délectait terriblement. Et ne cesserait certainement jamais de se délecter : elle savait des choses que son frère ignorait, tant de choses que son frère ignorait... Et de cette vérité, elle pouvait se jouer à sa guise, selon son bon vouloir, au hasard des circonstances et de son bon plaisir, que leurs nombreuses conversations, qui à d'autres pourraient paraître répétitives, n'avaient jamais tari. A l'inverse, elle était toujours plus fier de ses nouvelles saillies. C'était un jeu, et elle allait gagner.

code by Mandy