Seules errances d’amour sont dignes d’un pardon. (Laudine)

« Vous ne me causerez aucun problème, n’ayez crainte. »

Yvain ne pouvait que s'en inquiéter, pourtant. Bien sûr, il voulait avoir entièrement foi dans le propos de son interlocutrice, il voulait sincèrement croire qu'il n'y aurait aucune répercussion à ses décisions, mais s'il pouvait parfois être naïf, il ne l'était pas totalement non plus, pas au point de s'imaginer la situation ne pouvait en aucun cas dégénérer. Bien sûr qu'elle le pouvait. Car le père de la belle Laudine l'attendait au tournant, et s'il devait apprendre qu'ils avaient passé la nuit ensemble, selon toute vraisemblance, les conséquences seraient terribles, pour lui comme pour elle.

Elle semblait sûre d'elle, convaincue que rien de grave n'arriverait, et le chevalier de la table ronde, incapable de lui résister, n'avait aucune intention de contrevenir davantage à ses propos, mais impossible de ne pas être un peu sur ses gardes malgré tout. Un père qui se souciait autant de sa fille pouvait tout à fait la faire surveiller discrètement sans même que cette dernière en soit informée. Ou bien était-il paranoïaque ? Cette dernière affirmation n'avait rien d'improbable. Rien d'improbable du tout, même. Mais il fallait qu'il laisse ses inquiétudes en suspens. Laudine en valait largement la peine, après tout.

« Je suis heureuse que vous restiez.»

Si elle était heureuse qu'il reste, si sa simple présence était susceptible de la rendre heureuse, comment pourrait-il seulement empêcher cette dernière ? Non, il tenait à tout prix et quoi qu'il en soit à rester avec elle. Leurs retrouvailles lui faisait tant de bien. Le simple fait de pouvoir plonger son regard dans le sien, de ne plus lire l'ombre du reproche et de la déception qu'il redoutait tant d'y trouver, c'était un vrai cadeau, un don pour lui, autant que cette sensation inégalable, qui faisait frissonner son échine quand ses lèvres se posaient sur les siennes.

Ce baiser, il le prolongeaient, évidemment. C'était un peu comme s'il puisait sa respiration à ses lèvres, à se demander comment il avait fait pour croire pouvoir vivre loin d'elle jusqu'ici. Comment avait-il fait pour vivre si éloigné d'elle jusqu'alors ? Il l'aimait tant... Il ne voulait plus jamais la perdre.

"Si cela ne tenait qu'à moi, je ne vous quitterais plus jamais."

Mais ça ne tenait pas qu'à lui, évidemment. Et c'était tout le problème.

« Je le sais. J’aimerais qu’il puisse en être ainsi. »

Lui aussi le savait, et c'était très certainement ce qu'il y avait de plus terrible et de plus frustrant dans leur situation : ils voulaient tous les deux la même chose, et tout devrait être si simple.

Ils s'aimaient, et au-delà de leurs sentiments, la réputation et la situation d'Yvain devrait suffire à autoriser toute jeune fille à marier, fût-elle veuve, à obtenir ses faveurs, mais il avait fallu que son cœur batte pour la seule femme dont on ne voulait lui offrir la main.

Si les sentiments de Laudine n'étaient pas réciproques, ce serait sans doute plus simple, mais à l'évidence, il n'en était rien du tout, et ils en souffraient tous deux. Et ne pouvaient rien y faire. Yvain devrait déployer tous ses talents de persuasion pour convaincre Edwin de Landuc de sa bonne foi, tout convaincu qu'il était du fait que cela ne suffirait pas, mais en attendant, il ne pouvait malheureusement pas grand-chose de plus.

« Je suis navrée… j’en oublie toutes mes manières. Je n’ai pas eu la politesse de vous demander si vous aviez besoin de quoique ce soit, à boire, à manger, ou autre. »

Elle n'avait pas à être navrée, et Yvain regrettait qu'elle le soit. Elle n'était pour rien dans la situation qu'ils devaient tous deux affronter. Elle était inconfortable autant pour lui que pour elle, malheureusement, il n'y avait rien qu'ils puissent vraiment y faire.

Mais alors qu'il allait la rassurer, il réalisa qu'elle en était revenue à des considérations plus prosaïques, et qui le firent sourire. Dans ces circonstances, les manières de Laudine n'avaient que peu d'importance, mais il appréciait ce retour à quelque chose de plus... simple ? Il avait ainsi le sentiment de rentrer dans le cadre d'une situation qui n'était pas complètement inextricable. Lui conférer un semblant de normalité n'était pas plus mal.

"A dire vrai, maintenant que vous le dites, je suis affamé." C'était le cas. Il n'avait pas vraiment pris le temps de s'intéresser à l'état de son estomac jusqu'ici, mais il devait bien constater que ce dernier criait famine. "Mais je ne voudrais pas éveiller inutilement l'attention en réclamant quoi que ce soit. Il faut que nous restions discrets."

« Ne vous en faîtes pas, je reviens tout de suite, ne bougez pas. »

Elle prononça ses mots avec, sur ses lèvres, un sourire qu'elle trouvait absolument irrésistible. Elle était si belle, si parfaite, qu'il se demandait définitivement comment il avait pu passer tout ce temps loin d'elle. Le souvenir qu'il avait d'elle, il pensait l'avoir idéalisé, mais quand il l'avait sous les yeux, il se rendait bien compte du fait qu'il n'en était rien.

Elle déposa sur ses lèvres un tendre baiser avant de s'éclipser. Il lui répondit par un doux sourire. Il n'avait pas l'intention d'aller où que ce soit. A vrai dire, il sentait déjà combien il lui serait compliqué, terriblement compliqué, vraiment, de s'en aller maintenant. Elle était là, il l'avait retrouvée, il n'avait vraiment pas envie de se soustraire à sa compagnie. Il avait envie de rester à ses côtés pour toujours. Il l'aimait tellement, cette situation ne pouvait que le lui faire réaliser plus encore.

Elle ne s'éclipsa pas longtemps, et pendant ce temps, Yvain s'autorisa à détailler discrètement les lieux du regards. Peut-être ne le devrait-il pas, mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Il trouvait des indices d'elle et de sa personnalité partout où se posait son regard, et il adorait vraiment cela.

Elle ne mit pas longtemps à revenir, avec ce qu'il fallait de victuailles. Elle semblait ne pas avoir rencontré de difficultés pour lui apporter ce plateau sans pour autant se compromettre. Il remarqua qu'elle avait bien refermé la porte à clé derrière eux. Elle était prudente, attentive, minutieuse. Et elle prenait soin de lui. Oh, vraiment, s'il le pouvait, il l'épouserait sur-le-champ. Mais ce n'était pas si simple que cela.

« Et voilà, je ne pouvais pas vous laisser mourir de faim tout de même. »

"Pour vous plaire, je n'y aurais trouvé aucun problème." Il se rapprocha d'elle et déposa une fois de plus ses lèvres sur les siennes. Avoir goûté à ses lèvres faisait qu'il n'avait plus la moindre envie de s'en passer. "J'espère que vous me ferez tout de même la faveur de partager ce repas avec moi. Il y en a bien trop pour moi seul."

Et il en apprécierait chaque minute en sa compagnie.