Toute vocation commence par l'admiration [pv Calogrenant]

C

ette soirée s'annonçait comme toutes les autres pour Maria, mais récemment, la serveuse avait retrouvé son entrain habituel, et une pleine motivation. Elle était plus que jamais certaine de ce qu'elle voulait, et convaincue de ce que l'avenir allait lui réserver, même si pour cela, il fallait mettre les bouchées double. Sa confiance, elle le reconnaissait, ainsi que ses projets en avaient pris un sacré coup quand Obéron lui avait échappé pour s'enticher d'une petite jeune qu'il avait fini par épouser - et, aux dernières nouvelles, par engrosser avant de mourir, la totale.

Mais elle remontait la pente, et aujourd'hui, elle était à même d'admettre que la situation était très bien ainsi. Elle avait placé beaucoup d'espoir en son futur mariage avec Obéron, et en le perdant, elle craignait à la fois d'avoir perdu sa nouvelle source de revenue et son influence sur les chasseurs, mais elle pensait avoir rectifié convenablement le tir. Et les perspectives qui s'offraient à elle étaient même plus intéressantes à présent qu'elles ne l'avaient été jusqu'alors, sur un plan comme sur l'autre, même si elles allaient lui demander davantage d'efforts. Ceci dit, Maria ne disait jamais non à un challenge supplémentaire.

Pour ce qui était de son mariage en devenir, une cible en avait remplacé une autre. Certes, en jetant sur Edwin de Landuc, elle s'était attaquée à un gros morceau, peut-être trop gros pour elle, d'ailleurs, compte tenue du désintérêt total que semblait éveiller en lui le sexe opposé... Peut-être qu'avec ses charmes d'antan, elle aurait eu plus de chances, mais elle appréciait assez ce nouveau défi, en réalité. Ses précédentes conquêtes avaient été... faciles. Il lui avait suffi de battre des cils, et l'affaire avait été pliée, elle avait besoin de changement, de renouveau...

... Et il en était de même pour les chasseurs. En perdant Obéron, elle avait redouté de perdre son influence sur le groupe anti-magie, mais Gaspard lui avait plus que jamais laissé comprendre qu'elle ne perdrait pas l'influence qu'elle avait sur le groupe... et par la même, sur lui. D'ailleurs, en parlant des chasseurs... Ce fut l'un d'entre eux, en la personne de Calogrenant, qu'elle rencontra au moment de fermer les portes de la taverne, où elle avait travaillé toute la soirée.

-Bonsoir Calogrenant. Quel plaisir de te voir ! Comment vas-tu ?

code by Mandy

M

aria afficha un sourire flatté mais qu'elle voulait peu crédule quand Calogrenant la complimenta. La serveuse aimait qu'on la caresse dans le sens du poil, c'était un fait, elle aimait sentir qu'elle avait de l'importance aux yeux des autres, et aux yeux des hommes surtout, raison pour laquelle son travail de serveuse, s'il n'avait pas que des avantages, réussissait à la satisfaire. Au-delà du fait qu'elle pouvait laisser traîner ses yeux et ses oreilles où elle le voulait sans trop se faire remarquer, on lui jetait toujours l'un ou l'autre compliment au passage. Certains n'étaient pas si élégants et elle s'en passerait bien, mais dans l'ensemble, elle aimait à savoir qu'elle plaisait, tout simplement, et n'en demandait pas davantage.

Le jeune homme n'avait semble-t-il pas croisé son chemin par hasard, il avait eu l'intention de la voir, et c'était là encore une attention qu'elle retenait et qu'elle appréciait, qui lui donnait un sentiment d'importance qu'elle savait apprécier à sa juste valeur. Et elle n'avait définitivement aucune raison de refuser la compagnie du jeune chevalier, puisque cette dernière ne lui était jamais désagréable. Et pour le coup, elle n'avait rien prévu de particulier. Si elle était rentrée directement, elle se serait contentée de retourner chez elle, ni plus ni moins, et elle n'aurait sans doute rien fait d'agréable et de productif. Sa conversation avec Calogrenant pouvait tout à fait être à la fois l'un et l'autre alors, forcément, Maria était absolument ravie de la tournure que les choses prenaient, et même si elle ne savait pas encore à quoi leur soirée ressemblerait, ça lui conviendrait tout à fait.

-Je ne peux rien avoir prévu de mieux que de passer ma soirée avec toi, répondit-elle alors. Je venais de fermer mais que dirais-tu de profiter de la taverne. Ce que le patron ne sait pas ne peut pas lui nuire, nous aurons les lieux pour nous seuls, suggéra-t-elle avec un sourire.

Elle n'attendit pas sa réponse et rouvrit la porte qu'elle venait juste de fermer avant de l'inviter à l'intérieur et de refermer la porte à clé derrière eux.

-Alors, qu'as-tu de beau à me raconter, je ne me lasse jamais d'un bon récit chevaleresque.

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M

aria n'était pas vraiment étonnée de la réponse de Calogrenant. Elle pensait le connaître assez à ce jour pour s'être fait une bonne idée de son caractère, et notamment de l'image biaisée qu'il avait de lui-même. Elle tenait le jeune chevalier pour un éternel insatisfait, frustré par des échecs qu'il avait le sentiment de n'avoir guère rattrapés et qui lui donnaient le sentiment de n'être jamais qu'un canard boiteux, ce que la serveuse ne croyait pas un seul instant. Bien sûr, les faits étaient les faits, et dans les faits, il n'y avait encore aucun fait d'arme vraiment grandiose à associer au chevalier Calogrenant, mais son tour viendrait, leur tour venait à tous un jour ou l'autre. Si le jeune homme avait sa place autour de l'illustre table ronde ce n'était après tout pas pour rien, Maria était absolument certaine de cela.

La serveuse afficha un sourire en coin quand Calogrenant affirma que pour peu qu'elle l'abreuve en conséquence, il pourrait bien lui pondre sur mesure le récit d'exploits héroïques dont il se ferait le protagoniste pour l'occasion. Elle n'en demandait pas moins. A vrai dire, elle était d'avis que les histoires que l'on se créait avaient finalement plus d'importance que celles que l'on avait vraiment vécues. Si l'on voulait entrer dans la légende, alors il fallait construire sa légende. Maria, par exemple, avant tant menti sur sa vie et son passé qu'il n'existait plus à ce jour une seule personne vivante à par elle-même qui serait capable de dresser le récit de son existence sans qu'aucun de ses mensonges élaborés de longue date ne vienne altérer la vérité. Et elle avait pourtant moins d'intérêt que Calogrenant à se vendre... Encore que.

-Très bien, alors tu pourras boire autant que tu le désires. Elle adressa à Calogrenant un sourire malicieux avant de mettre ses paroles à exécution et de leur servir deux verres généreux d'alcool. J'aime que l'on me raconte des histoires. Elle but une première gorgée de son verre. Crois-tu vraiment que tous les chevaliers dont tu admires tant le parcours ont fait le dixième de ce dont ils se vantent ? C'est l'apanage des chevaliers de mentir et d'enjoliver. Si tu le souhaites, je me ferais un plaisir de t'aider à t'inventer une histoire des plus sensationnelles.

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Q

uand l'histoire ne se raconte pas naturellement pour vous, le plus simple est encore de raconter soi-même son histoire. L'avantage d'un tel processus narratif, c'était qu'on était libre de faire absolument tout ce qu'on voulait. Il n'y avait pas la moindre restriction, pas la moindre limite. Aucune conquête n'était trop belle, aucun ennemi n'était trop violent, aucun exploit n'était trop héroïque, la seule limite à ces fables auxquelles on accordait la crédibilité que l'on voulait, c'était l'imagination. Et en ce qui concernait Maria, elle avait un imagination ce qu'il y a de plus débordante, et c'était un petit jeu qui l'amusait franchement beaucoup. Pas forcément pour les autres, mais pour elle-même, c'est certain.

Et il semblait que c'était là un jeu auquel Calogrenant prendrait plaisir à jouer lui aussi. Tant mieux, en ce cas, toutes les conditions étaient réunies pour cela : une excellente compagnie, de l'alcool comme s'il en pleuvait, et une sincère estime mutuelle matinée de confiance qui devait encourager toute la complicité nécessaire à une situation bien moins cocasse si elle devait être jouée par deux parfaits inconnus.

Calogrenant suggéra donc de venir secourir une demoiselle en détresse qui porterait son nom et revêtirait ses traits. Un fantasme comme un autre qui selon le chevalier se heurterait à la réalité, car Maria était tout à fait apte à se débrouiller par elle-même. Ce n'était sans doute pas complètement faux. Maria se targuait d'être une femme indépendante, autonome, et qui n'avait jamais eu besoin de se laisser dépendre de qui que ce soit, même si elle prenait au fond un malin plaisir à ce que l'on dépende d'elle, et elle s'arrangeait bien pour que ce soit le cas.

-J'ai passé l'âge d'être une demoiselle en détresse, j'en ai bien peur, s'amusa Maria. Mais je me ferais un plaisir d'apprendre au moindre de mes clients comment le brave chevalier Calogrenant m'a sauvée d'une mort certaine. Elle lui adressa un regard qui pétillait de malice. Toute cette situation l'amusait honnêtement beaucoup, et elle y prenait un malin plaisir. Elle voulait croire qu'il en était de même pour son interlocuteur. Alors dis-moi. Qui sont mes agresseurs ? Des brigands sanguinaires ? ... ou une créature démoniaque ? A dire vrai, la créature démoniaque aurait le mérite de rappeler leur dangerosité au commun des mortels.

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A

llez savoir si dire d'elle qu'elle était une demoiselle en détresse plus que convaincante était véritablement un compliment ou non, mais elle décidait de le prendre comme tel. Elle n'aimait pas cette idée de détresse, car elle se considérait comme forte et tout à fait capable de se défendre par elle-même (quand bien même elle se gardait parfois de le montrer, notamment auprès de ses prétendants, à qui elle aimait bien faire croire qu'elle avait désespérément besoin d'être protégée), mais il est vrai qu'elle n'avait pas l'aptitude d'un chevalier au combat, elle n'avait même aucun talent au combat, elle trouvait ses talents ailleurs, dans la manipulation en grande partie.

Être la cible d'une créature dangereuse ferait ceci dit de n'importe qui une personne en détresse... Il s'avérait juste qu'il était plus vendeur pour un grand héros de sauver une belle et gente dame, ce qui pouvait ajouter un parfum de romance au récit épique les concernant. Mais si son interlocuteur savait se contenter de son humble personne, alors elle se ferait le plus grand plaisir de conter ses louanges, et il ne faut pas croire, la fréquentation de cette taverne était suffisamment importante pour qu'une rumeur répandue à ces lieux finisse, de bouches en oreilles, par se répandre dans tout le royaume.

-Un troll ?

Elle fit mine de réfléchir, ce n'était pas la sorte de créature à laquelle elle aurait songé en premier lieu, mais c'était un bon choix. Parce qu'elle avait de la magie en horreur, il avait bien fallu qu'elle se renseigne à ce sujet, alors même sans en avoir rencontré, elle saurait sans mal décrire la créature qui l'aurait prétendument enlevée.

- Très bien, un troll, confirma-t-elle alors avec un très fin sourire.

Elle était assez révulsée par l'idée, car ces créatures immondes la dégoutaient. D'un autre côté, c'était justement là le but de la manoeuvre. Plus la créature serait répugnante et digne de susciter l'horreur, plus son récit gagnerait en intensité et aurait le don d'émouvoir ceux qui seraient là pour l'entendre.

-Alors, dis-moi, comment as-tu réussi à me débarrasser des griffes de cette hideuse créature ? Je suis certaine que le combat a été acharné. Vous a-t-il blessé ? A-t-il été rejoint par d'autres de ses horribles comparses ?

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O

h oui, un troll c'était bien assez en effet, et suffisant pour enflammer l'esprit du chaland tout en ajoutant de la crédibilité au récit épique que Maria conterait à qui voudrait bien l'entendre au sujet du brave chevalier Calogrenant qui lui avait noblement sauvé la vie. De sa taverne, Maria en entendait, des histoires, et si certaines étaient d'une crédibilité incontestables, certaines autres étaient clairement enjolivées quand elles ne tenaient pas du mensonge pur et dur : autant veiller à la crédibilité de cette histoire-ci.

Cela ne ferait pas seulement du bien à la crédibilité de son interlocuteur, mais également à la cause qu'ils servaient : il fallait que le manant frissonne et s'inquiète à la perspective que créatures aussi dangereuses se promènent si librement sur le royaume, menaçant directement la vie des braves habitants de la cité de Camelot. Ils tenaient, en des prémisses simples et efficaces ce qui promettait d'être une belle histoire qui, si elle se débrouillait bien, pourrait faire parler d'elle un bon moment. Les rumeurs étaient comme les flammes de bougies : fragiles, chancelantes : il fallait savoir alimenter la flamme et ne surtout pas la laisser mourir. Heureusement, pour cela, la serveuse était très douée. On pourrait même dire que c'était une seconde nature, en réalité. Elle n'avait jamais eu aucun mal à colporter les rumeurs les plus folles... Certaines n'étaient pas si éloignées de la vérité, d'autres étaient pures inventions, mais dans tous les cas, elles étaient toujours accueillies avec la même ferveur attentive.

Calogrenant ajouta qu'il avait été légèrement blessé, un détail qui plaisait toujours. Beaucoup de récits étaient enjolivés et négligeaient les souffrances des héros dont on contait les louanges. C'était dans l'intention très pure de vanter leur courage et leur noblesse de coeur, d'en faire presque des entités divines, loin des considérations humaines les plus triviales. Mais Maria trouvait qu'il n'y avait rien de plus convaincant et attirant qu'un héros qui se blesse, qui se trompe, qui est faillible... et c'était simple d'attirer la sympathie à partir de là.

-Eh bien, je possède très peu de choses. De quelle manière aurais-je pu te remercier ? demanda Maria d'un ton presque naïf qui lui allait bien mal, mais après tout, ça restait l'histoire de Calogrenant, pas la sienne. Et elle aimait jouer à ce petit jeu.

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M

aria sourit doucement quand Calogrenant affirma qu'il n'était pas homme très demandeur. Peut-être pas, mais c'était tout de même lui qui avait suggéré qu'il avait dû être récompensé comme il se doit pour ses exploits imaginaires. L'un dans l'autre, évidemment, seule importait la réponse, tout aussi imaginaire, que saurait lui donner le jeune chevalier avec qui elle s'amusait à tisser de fil blanc une histoire qui n'intéresserait sans doute personne dans tous les cas et qui ne serait sans doute jamais raconté autrement qu'ici et maintenant, entre deux interlocuteurs qui étaient donc aussi les protagonistes d'exploits épiques que la serveuse serait tout à fait capable de diffuser si nécessaire, même si le jeu n'en valait peut-être pas la chandelle.

Elle lui adressa un regard entendu quand Calogrenant ajouta qu'il se contenterait tout à fait d'un baiser. Evidemment, Maria s'attendait à une telle réponse, et même, elle était partie en quête d'une tlle réponse, par des sous-entendus qui n'avaient pas forcément grand-chose de subtil. Pas pour une raison particulière, non, juste pour le plaisir d'entendre ces mots prononcés de la bouche d'un beau jeune homme, d'un chevalier qui pouvait tout à fait, même s'il se convainquait peut-être du contraire, parfois, séduire toutes les jolies demoiselles en détresse qui se trouvaient sur son chemin, et même celles qui n'étaient pas spécialement en détresse, d'ailleurs.

-Dans les histoires, l'on sauve généralement des femmes plus jeunes et séduisantes, et de plus noble extraction. Je ne suis pas certaine qu'obtenir le baiser d'une simple serveuse, d'une vulgaire roturière, soit la meilleure manière de conclure un récit ô combien épique et héroïque.

Oh non, elle ne le disait certainement pas pour se diminuer, loin de là, Maria avait, bien au contraire, une très haute estime d'elle-même qui pouvait d'ailleurs être tout à fait redoutable selon ce qu'elle faisait le choix d'en faire ou non. Mais elle aimait bien prononcer des paroles comme celles-ci afin d'entendre ses interlocuteurs la "rassurer" et lui dire que non, bien évidemment, c'était tout le contraire. Elle était bien sûr une femme exceptionnelle, très belle pour son âge, et dont la fortune ne reposait certes que sur un "triste" veuvage, mais qui avait une noblesse de coeur qui valait bien tous les titres du monde.

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-O

h mais ce n'est pas un manque de confiance en soi que d'avoir conscience de son titre et de sa position sociale. Au contraire, c'est même une nécessité si l'on veut dépasser ces mêmes titres et positions pour gagner la place qui nous est due.

Maria Roncenoir ne manquait définitivement pas de confiance en elle, ça non, et elle ne pensait pas que son discours retranscrivait quelque sentiment qui devait véritablement ressembler à cela. Non, ce n'était pas le cas du tout. Maria Roncenoir était la confiance incarnée, et c'était justement parce qu'elle possédait cette confiance qu'elle pouvait évoquer sa situation et sa position de cette manière, sans détour. Parce qu'elle savait ce qu'elle valait au-delà de ce que sa situation de simple servante pouvait bien laisser suggérer au monde entier.

Elle n'avait en soi rien dit de dévalorisant, mais bien sûr, elle s'attendait à ce que son interlocuteur le perçoive de la sorte. Si occasion lui était donné de partir à la pêche aux compliments, c'est un fait, elle ne disait jamais non. Elle aimait être caressée dans le sens du poil, et elle faisait toujours au mieux pour que cela arrive. Il y avait des propos qu'elle n'hésitait pas à prononcer à son propre sujet, en revanche, il ne faudrait pas que d'autres se permettent de décider de prononcer des paroles pareilles.

-La personnalité des princesses n'est jamais chose sur laquelle on s'attarde dans les grands récits épiques, aussi elle importe peu, mais elles peuvent faire des chevaliers de véritables princes, et c'est là que la chose peut devenir vraiment intéressante. Mais je te l'accorde, j'ai bien plus de charme que toutes ces jeunes premières beaucoup trop naïves pour ce monde. Elle marqua une pause. Ceci dit, pour marquer un grand récit épique, il est préférable que notre demoiselle en détresse soit un coeur et un corps à conquérir. Voilà fort longtemps que je ne suis ni l'un ni l'autre, ou du moins l'un des deux, ajouta-t-elle en lui adressant un regard entendu.

Une fois de plus, ce n'était pas une manière pour elle de se dénigrer, mais plutôt d'observer et de se rire de codes qui étaient plus que largement en vigueur. Elle ne s'en désespérait pas, c'était bien parce qu'elle les connaissait qu'elle pouvait en jouer.

code by Mandy

-A

ton avis, quelle est la place que je mérite ? questionna tout d'abord Maria en guise de réponse, avide de rhétorique.

Mais en soi, elle n'éprouvait aucun problème à répondre à cette question, quand on partait d'aussi loin qu'elle, en même temps, il n'était pas spécialement difficile de vouloir réclamer davantage, c'était même dans l'ordre des choses. A moins bien sûr de manquer cruellement d'ambition, mais Maria avait toutes les peines du monde à comprendre les personnes qui pouvaient véritablement se contenter de si peu. Elle n'était définitivement pas dans ce cas de figure, loin s'en faut.

-Je mériterais au moins le titre de reine, tu ne crois pas ? répondit Maria avec humour. Mais je n'en demande pas autant. Je pense seulement que je vaut mieux que ma place de simple serveuse, même si je peux reconnaître qu'elle m'est avantageuse en certaines circonstances, observa-t-elle ensuite, offrant une réponse plus sincère à son interlocuteur, cette fois, bien que cryptique, à l'évidence.

Après quoi, elle poursuivit sa litanie, de celles dont elle avait l'habitude, car si elle pouvait passer pour une fille du peuple, elle savait avoir, à sa manière, les façons de discourir d'une dame de la haute. Affaire d'observation et de mimétisme, mais le tout faisait miracle, de toute évidence.

-Je n'ai pas l'impression d'avoir eu besoin d'étudier grand-chose, mais je reconnais que j'ai entendu mon lot d'histoires, c'est forcément ce qui arrive quand on côtoie autant de personnes chaque soir, autant de personnes ivres, s'entend, remarqua Maria avec la plus grande légèreté. Et crois-moi, les histoires qui font honneur à ces chevaliers vers lesquels personne n'avait envisagé de tourner le regard sont généralement les meilleures. Je te trouve bien pessimiste pour pas grand-chose. Avant de devenir les grands chevaliers que l'on admire, ceux dont on ne cesse de vanter les louanges n'ont pas été différent de toi, ils ont simplement attendu leur moment. Maria marqua une pause. Ne commets pas l'erreur de baisser les bras alors que tu es si jeune, et qu'en plus du reste, tu as tout pour moi. Ce moment risquerait fort de te passer sous le nez.

Mais bien sûr, ce n'était pas à elle de lui prodiguer ce genre de conseils. Elle se contentait, pour sa part, de lui communiquer le fond de sa pensée, ni plus ni moins.

code by Mandy

M

aria afficha un sourire quand Calogrenant suggéra qu'elle venait de lui adresser une question piège. Effectivement, mais il n'y avait pas qu'une seule bonne réponse, et elle voulait seulement entendre l'une d'entre elles, et espérait bien que Calogrenant saurait lui dire très précisément ce qu'elle avait envie d'entendre. Mais le connaissant, ça ne devrait pas être vraiment difficile pour lui, n'est-ce pas ?

-De très hautes fonctions, c'est très flou... et à vrai dire, tu présumes de moi, il y avait plus d'une bonne réponse à cette question, reprit-elle avec une moue faussement déçue. Elle aimait que l'on aille au bout de ses propos, avec elle. Mais bien sûr, ce n'était jamais sans éventuelles conséquences. Au final, peut-être que ce n'était pas si mal que Calogrenant ne réponde que partiellement à sa question, même si cela donnait à Maria un petit sentiment d'inachevé... mais ce n'était jamais désagréable d'être remise à sa place, cela dit. Une part d'elle aimait plutôt cela d'ailleurs.

Ceci dit, si c'est pour s'octroyer un titre par elle-même, Maria savait n'attendre après personne, comme elle le prouva au moment de reprendre la parole, en affirmant qu'elle pourrait tout à fait prétendre au statut de reine. C'était faux, et elle ne se verrait même pas l'être, mais en matière de flagornerie, Maria ne reculait jamais devant rien.

-L'alcool et la chair... Tu as oublié mon indéniable charisme, ajouta-t-elle avec un léger humour. En réalité, elle n'avait besoin de personne pour lui faire des compliments, il lui suffisait définitivement d'elle-même pour cela. Et elle le faisait à la perfection par ailleurs.

Caradoc avait beau affirmer qu'il ne baissait les bras, Maria estimait que tout, dans son attitude, laissait tout de même plus ou moins entendre le contraire. Oui, il était peut-être plus acharné dans d'autres domaines, mais en l'occurrence, elle considérait vraiment qu'il ne s'estimait pas à la hauteur de tout ce dont il pouvait bien être capable, et c'était dommage.

-Si la vie t'est moins clémente, dis-toi qu'au moment de ton triomphe, tu n'en retireras que de plus agréables et confortables lauriers. Tu sais ce que l'on dit : à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. C'est la vérité.

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aria afficha un sourire complice et détendu quand son interlocuteur s'excusa de ne pas avoir davantage brossé son ego dans le sens du poil en évoquant son indéniable charisme. Bien sûr, aux yeux de Maria, tout ceci n'était jamais que du vent, ça n'avait pas tant d'importance que cela, du moins pas au point de se mettre martel en tête quand de bien plus nobles causes exigeaient toute leur attention. Mais elle appréciait plaisanter en compagnie de son interlocuteur. C'était une activité agréable et des plus plaisantes. Et qui n'exigeait pas grand-chose de sa part si ce n'est de partir à la pêche aux compliments et d'attendre sagement que l'on morde à l'hameçon.

-Dans ma grande mansuétude, je te pardonne. Mais c'est bien parce que ma grandeur d'esprit est sans égale, répondit la serveuse avec humour, adressant au passage un regard complice à son interlocuteur.

Maria était une philosophe de comptoir, littéralement. Elle tirait ses réflexions et sa manière de penser de son vécu, de son expérience, rien d'autre. Pour cette raison, elle ne se sentait pas forcément aussi exceptionnelle que ce que son interlocuteur pourrait bien avoir envie de prétendre... Elle s'évertuait à le paraître, néanmoins, afin de gagner l'influence qu'elle estimait nécessaire afin de mener à bien le moindre de ses projets. Maria Roncenoir n'était probablement pas la sagesse incarnée, loin de là, mais elle aimait dispenser sa manière de voir les choses à qui voulait bien l'écouter.

-Il n'est peut-être pas si simple de s'en convaincre, mais tant que tu te persuaderas que le sort s'acharne contre toi, tu seras l'architecte de ton propre malheur. Pour que les choses changent, pour enfin obtenir une récompense à la hauteur de tes attentes, pour finalement gagner la reconnaissance de tes pairs, il faut que tu admettes la mériter et disposer de toutes les cartes nécessaires pour cela. Prétendre que le sort s'acharne ne t'invitera qu'au défaitisme, et le défaitisme mène, comme son nom l'indique, à la défaite. Elle esquissa un fin sourire. Et avant que tu ne le répètes, ce n'est pas de la sagesse, c'est uniquement du bon sens - même si tu as raison, je suis d'une sagesse proverbiale, ajouta-t-elle avec un clin d'oeil complice.

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aria ne pouvait que dispenser ses leçons et espérer qu'elles porteraient leurs fruits, elle ne pouvait pas forcément attendre que les choses se déroulent comme elle le voulait (même si elle s'arrangeait la plupart du temps pour que ce soit le cas. Maria Roncenoir voulait, avant tout et surtout, que Calogrenant prenne conscience de ses possibilités, de son talent, de son potentiel de réussite et de ses nombreuses qualités, mais si Maria aimait orienter les gens dans une direction en particulier, elle ne pouvait que montrer le chemin. Au bout du compte, le chemin, ce n'était pas à elle de le faire, c'était à ceux de son entourage. Mais ce chemin, Calogrenant était plus que capable de le faire, Maria n'avait absolument aucun doute à ce sujet, définitivement aucun doute à ce sujet.

-Oh, moi je suis convaincue que c'est une règle qui fonctionne pour tout le monde, et plus encore pour les plus méritants. Et méritant, je sais que tu l'es, je n'ai absolument aucun doute là-dessus.

Elle ne le disait pas pour le brosser dans le sens du poil... ou peut-être que c'était un peu le cas, mais pas seulement. Oui, elle cherchait à le brosser dans le sens du poil, mais il n'était pas question que de cela, elle ne perdrait pas autant de temps avec quelqu'un qui n'aurait pas sa considération ou bien dans laquelle elle ne croirait pas le moins du monde. Et le fait est qu'elle y croyait bel et bien.

-Et en effet, il n'y a que peu de choses dont je ne suis capable, pas parce que j'ai plus de moyens que les autres, mais parce que je crois en ma capacité à obtenir tout ce que je veux.

Et elle le pensait véritablement. Elle se sentait forte, elle se sentait digne... Elle devait se débrouiller avec les moyens du bord, mais elle était indépendante, autoritaire, elle croyait dans la manière dont elle saurait façonner le monde et ceux qui l'entourent, si ce n'est à son image, du moi à l'image qu'elle désirait. Elle s'en cachait parfois, mais elle ne voulait pas le faire avec son interlocuteur, elle acceptait de lui montrer ses vraies couleurs, parce qu'elle savait qu'il était capable de les apprécier.

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