Le spêctre du passé [Manon & Mordred]

E

lle avait vécu en ces lieux, elle les avait apprivoisé, sans doute même apprécié... Incrustés dans la sève de chaque arbre, dans la tige de chaque fleur, les feuilles chaque plante, il y avait des monceaux de sa mémoire. Elle en était intimement convaincue. Mais  quoi qu'elle fasse, rien de ce qu'elle faisait ou tentait de faire pour retrouver ce qu'elle avait perdu ne fonctionnait. Elle avait appartenu à ses lieux, elle le savait, en était intimement convaincue, mais aux questions qu'elle posait, ils lui refusaient toute réponse. Elle était venue en vain, elle aurait dû s'en douter. À force de tentatives, elle avait bien comprit que les souvenirs ne se regagnaient pas si facilement... mais elle avait espéré, quoi qu'il en soit, et espérait encore. C'était dans ces bois qu'elle s'était réveillée après une longue inconscience, ignorant tout d'elle, jusqu'à son nom, qu'on avait dû lui réapprendre, c'était ces bois qui devaient lui rendre ce qui lui avait été dérobé. C'était du moins ce qu'elle pensait, mais de toute évidence les bois, eux, n'étaient pas d'accord. Appartenait-elle à ces lieux, n'y avait-elle vécu qu'un temps. Elle savait que sa communauté, ou en tous cas, la communauté qu'elle avait un temps intégré appartenait à cette forêt là, mais elle ne savait rien de plus. Des autres druides qu'elle avait pu rencontrer, elle n'avait rien obtenu, la plupart d'entre eux ne semblaient pas la tenir en grande estime. Rapport à cette part obscure qu'elle découvrait en sa personne chaque jour un peu plus (et en proportions plus grande encore depuis que son chemin avait retrouvé celui de Jehanne), en dépit de la loyauté qu'elle voulait accorder aux Pendragon, les premiers à lui avoir tendu la main après l'accident ? Sans doute. Il semblait qu'il faille pour elle attendre encore un peu avant que d'obtenir les réponses tant désirées à ses questions si nombreuses. Pour l'heure, ces lieux ignoraient sa requête, silencieux au possible.

Silencieux... ou presque. Car soudain, il lui sembla entendre du bruit. Un animal quelconque ? C'était tout à fait probable, mais Manon voulut en avoir le cœur net. Elle s'approcha donc de la « source », avec le plus de discrétion possible (si son passé lui avait échappé, un soupçon de bon sens demeurait, et elle n'ignorait pas qu'il valait toujours mieux se préserver des mauvaises rencontres en ce genre d'endroits). Finalement, elle le vit, lui. Lui qui semblait nourrir encore l'espoir d'être passé inaperçu. Manon hésita. Fallait-il prendre le risque d'aller lui parler ? L'épée qu'il avait à la main ne faisait pas office de décoration... Et s'il n'y avait pas eu en la jeune femme le sentiment tenace de l'avoir déjà rencontré, ou tout du moins vu, elle aurait certainement fait marche arrière. À la place, elle s'autorisa une dangereuse indiscrétion.

-Qui êtes-vous ?

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