Celui qui n'a jamais confiance en personne ne sera jamais déçu. [pv Perceval]

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éléagant pensait avoir réussi à semer le doute (même un doute minime) dans l'esprit de son jeune interlocuteur, et il en était absolument satisfait. Il en faurait plus, bien sûr, pour obtenir du jeune chevalier qu'il se détourne de son roi et lui préfère ne autre allégeance, mais c'était, du moins, un début, et qui n'était pas négligeable. Où sait siéger le doute, trouvent place les interrogations, et Méléagant voulait que Perceval, même inconsciemment, pose tout à coup un regard différent aussi bien sur Arthur que sur ceux qui officiaient à la table ronde.

Interpréter chaque signe, c'était éventuellement mal les interpréter, et c'était bien évidemment ce qu'il souhaitait pour sa part. Alors oui, la réponse de son interlocuteur le satisfaisait plutôt. Bien sûr, Perceval avait besoin de preuves pour en être convaincu, et Méléagant n'avait rien de concret, puisqu'il inventait cela de toute pièce, mais il pensait réussir malgré tout à semer le doute dans ce jeune esprit influençable, c'était ce qui comptait, bien plus que de lui trouver une proie sur laquelle s'acharner injustement. Il voulait simplement que s'opère dans son esprit un processus de réflexion qui, jusqu'alors, ne l'avait pas effleuré. C'était aussi l'occasion de savoir jusqu'où il pouvait tenter de modeler ce même esprit qu'il voulait avoir entièrement à sa merci, le moment venu.

-Aucun des chevaliers de la table ronde n'est idiot, aucun d'entre eux n'irait afficher directement sa désapprobation envers la Couronne, répondit doucement Méléagant. Ce qui était vrai. Le roi devait peut-être se méfier de certains de ses chevaliers. Ou plutôt devrait se méfier de lui, car de ce qu'il savait, les autres chevaliers agissaient de façon relativement irréprochable. Je ne veux accuser aucun de mes frères d'armes sans preuves concrètes. Mais j'ai entièrement confiance en toi, alors je ne peux que te conseiller d'ouvrir l'oeil.

Lui demander d'ouvrir l'oeil, c'était prendre le risque qu'il s'interroge sur ses propres actions, c'est vrai. Mais en même temps, étant le premier à évoquer cette perspective, il osait penser que Perceval prendrait plutôt le parti de lui accorder une confiance aveugle, cette confiance qu'il ne voulait surtout pas perdre.

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erceval était, semble-t-il, flatté, honoré de son discours, tant mieux, c'était le but de la manoeuvre. Méléagant voulait que le jeune homme se sente mis en valeur, apprenne ce sentiment d'importance qui, fallait-il l'espérer, lui donnerait des ailes tout en autorisant Méléagant de l'arrêter en plein vol. Dans tous les cas, il restait évident que le jeune chevalier ne voyait pas clair dans son jeu, et c'était tant mieux. Pour le moment, Méléagant était satisfait de cette petite stratégie... à voir si elle allait porter ses fruits ou non, mais il était relativement confiant. Il posait ses pions, tout simplement.

Il lui promettait d'ouvrir l'oil, tout en conservant cette naïveté qui le poussait à espérer que rien de grave ne soit à observer. Pas de chance pour lui. Peu importe d'où cela viendrait, le coup d'Etat semblait inévitable. Le règne d'Arthur divisait, il avait trop d'opposants, il y avait trop de prétendants au trône qui pouvaient espérer le briguer, légitimement ou non, alors forcément, d'une manière ou d'une autre, la situation se présentait mal pour Pendragon. Et Méléagant espérait simplement être celui qui s'imposerait, et déroberait sa couronne à l'homme qui, à ses yeux, ne le méritait pas du tout.

-Bien, très bien, dit-il alors. Il hésita à répéter qu'il avait toute confiance en Perceval une fois de plus, mais il n'estimait pas nécessaire d'en rajouter. Si jamais tu devais constater quoi que ce soit d'étrange, de singulier ou de suspect, tu viendrais m'en parler, n'est-ce pas ?

Si, par la force des choses - et en toute innocence, bien évidemment -, Perceval pouvait finir par être ses yeux et ses oreilles, c'était une opportunité à côté de laquelle le chevalier de la table ronde ne pouvait évidemment pas passer. Alors certes, c'était une entreprise éventuellement risqué, mais il est bien connu qu'à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, et il fallait qu'il accepte de faire fi parfois de certaines précautions, s'il voulait parvenir à ses fins. Pour le coup, il ne pensait prendre qu'un risque relativement limité quoi qu'il en soit. Disons que la naîveté évidente de Perceval était à la fois un avantage pour lui et un inconvénient, car il serait évidemment capable de tout contrarier sans même se rendre compte de ce qu'il faisait.

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erceval lui répondit sur le ton de l'évidence, et Méléagant n'aurait guère su s'en montrer plus satisfait. En sa qualité d'ancien chevalier, l'un des premiers de la table ronde (même s'il ne brillait pas franchement par sa loyauté quand tout ceci avait commencé - cela dit, il ne brillait toujours pas par sa loyauté à présent, il avait simplement appris à mieux dissimuler son amertume et ses plans), il estimait que les plus jeunes, même ceux qui avaient déjà montré leur valeur, se devaient de lui adresser leurs respects en vertu de sa qualité d'aîné, mais dans les faits, ils ne lui devaient rien.

Perceval n'avait aucune raison particulière de satisfaire à sa requête et de le renseigner comme il le désirait (car c'était bien de cela qu'il était question : Méléagant voulait obtenir de son interlocuteur tous les renseignements qui pourraient bien être susceptibles de lui servir). Cela étant dit, il n'avait pas formulé cette requête sous la forme d'un ordre ni fait valoir ce qu'il estimait être sa position hiérarchique (et qi était bien évidemment complètement factice). Non, loin de là, même, il avait formulé cette requête sur un mode amical, induisant entre eux une forme de proximité qu'il n'aurait pas avec tous les autres chevaliers. Ce qui quelque part était vrai.

Si Méléagant pouvait s'assurer de façon pérenne la sympathie et la loyauté de son interlocuteur, alors il aurait tout gagné, surtout dans ces circonstances, où il avait besoin de tout le soutien possible, qu'il soit conscient ou non. Et inconscient de ce qu'étaient les véritables desseins de Méléagant, il était préférable qu'il continue de l'être. Du moins jusqu'à ce qu'il soit trop tard et qu'il ne puisse que prendre conscience de ses erreurs sans pour autant plus pouvoir y faire quoi que ce soit. Oui, définitivement, Méléagant sous-estimait son interlocuteur. Et c'était un problème qu'il découvrirait peut-être plus tard.

-Moi de même, répondit-il alors quand Perceval répondit qu'il se sentait rassuré de ne pas être le seul à se soucier du sort de son roi... S'il savait... Quoique, Méléagant s'en souciait, mais d'une façon qui n'appartenait qu'à lui. J'ose espérer que nous ne sommes pas les seuls. L'essentiel est de savoir faire la différence entre nos alliés et nos ennemis.

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éléagant estimait-il que certains des hommes d'Arthur, parmi ceux-là même que le roi avait accueilli autour de sa table ronde étaient des traîtres ? Oui, évidemment, et il était le mieux placé pour le savoir, puisque lui-même en était un. Mais quand bien même il choisirait de se retirer de l'équation, il estimait tout de même que d'autres n'étaient sans doute pas si irréprochables, et ne dirait pas non à une rerépartition des fonctions des uns et des autres au sein de Camelot, de sa royauté et de sa chevalerie. Il ne soupçonnait personne en particulier.

Pour certains, il savait de source sûre qu'ils étaient irréprochables, qu'il s'agisse de Lancelot (qui en fin de compte n'était pas si irréprochable que cela, pourtant), de son cousin Urien (qui à ce titre était une véritable déception à ses yeux), ou encore de son interlocuteur, qui n'avait clairement pas en lui la malignité de vouloir le moindre mal à son roi. C'était ainsi, dès qu'il était affaire de pouvoir, il était bien naïf de croire qu'il puisse n'y avoir personne pour souhaiter le briguer, ou tout du moins le convoiter. Mais il est vrai que la naïveté et Perceval, tout du moins aux yeux de Méléagant, étaient toujours aller de pair.

-J'ai le regard que confère l'expérience, répondit Méléagant dans un hochement de tête. J'ai assisté au couronnement d'Arthur, et crois-moi, à cette époque, nombre de tes frères d'arme y étaient opposés... Et je le sais d'autant mieux que j'ai eu la faiblesse de moi-même en faire partie.

C'était un aveu risqué que celui-ci, mais un aveu calculé néanmoins. Jouer les anciens traîtres repentis, c'était jouer la carte d'une fausse sincérité supposée légitimer une confiance mutuelle entre lui et son jeune confrère. Par ailleurs, c'était une tare dont il était facile de se justifier tant elle avait été courante dans les premiers temps du règne d'Arthur, même s'il avait sans doute été le plus virulent, et surtout, même s'il était de ceux qui depuis n'avaient jamais voulu reconnaître la légitimité du roi. Son histoire n'était pas inconnue, il n'y avait guère à chercher bien longtemps pour savoir tout cela, alors il était de toute évidence préférable de le lui apprendre de lui-même plutôt qu'il ne le découvre autrement, ce qui saperait à coup sûr sa crédibilité.

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était un pari risqué, bien sûr, que d'apprendre cette vérité-ci au jeune Perceval, car cela pourrait bien écorner l'image que l'impressionnable chevalier de la table ronde avait de lui. Mais cela demeurait un risque calculé. Ce n'était pas un secret, bien sûr, beaucoup savaient qu'il s'était fermement opposé autrefois à l'accession d'Arthur au trône, par frustration, bien sûr, car lui qui avait été convaincu de devoir occuper sa place et d'être destiné à son épouse s'était retrouvé le bec dans l'eau. Cela étant dit, beaucoup d'autres avaient ressenti les mêmes réticences. Il avait été loin d'être un cas isolé à l'époque, et beaucoup de ceux qui avaient changé d'opinion étaient à présent des chevaliers tout à fait irréprochables au service de la couronne, à l'instar par exemple de son cousin Urien, que Méléagant estimait définitivement à côté de la plaque.

-Il faut remettre la situation dans son contexte. Quand Arthur Pendragon a délogé l'épée des rois de son rocher, aucun d'entre nous ne savait qui il était, ni d'où il venait, nous ne pouvions nous fier qu'à la volonté sacrée qui avait fait de lui l'élu, sans aucun fait d'arme pour justifier sa valeur. Beaucoup d'entre nous se sont sentis lésés.

Car certains prétendants au trône semblaient largement plus légitimes que ne l'était Arthur à l'époque (et Méléagant continuait de penser que c'était le cas et qu'il n'avait eu que de la chance - et sans doute le soutien providentiel de Merlin dans l'affaire). Certes, l'on découvrit peu après qu'il était le fils d'Uther Pendragon... mais là encore, ce semblait justifier très faiblement qu'il ait été choisi par les dieux.

-Mais depuis, et comme vous le savez forcément, le roi a largement su prouver son efficacité et sa valeur. Le peu d'entre nous qui n'en étaient pas encore convaincus - et ce n'est pas mon cas, mentit-il, j'ai bien vite compris que cet homme était à la hauteur de sa couronne - ont achevé de l'être après notre victoire sur les Saxons... du moins je l'espère.

Toujours laisser planer le doute, donc, en laissant suggérer que certains n'étaient peut-être pas dignes de confiance alors qu'il était bien évidemment le moins digne entre tous.

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éléagant savait qu'il avait pris un risque en s'exprimer sur le sentiment réel que lui avait inspiré Arthur à l'époque où ce dernier était monté sur le trône (et ce sentiment n'avait pas du tout changé depuis lors, il s'était bien au contraire confirmé - mais c'était une chose que peu étaient capables de voir, et Méléagant s'arrangerait pour que cela continue d'être le cas), mais il était plutôt satisfait de son petit effet. Il considérait qu'il avait su s'en tirer à la perfection pour empêcher son interlocuteur d'avoir des doutes.

Enfin, il l'espérait, car cela n'avait rien d'une certitude pour autant. Il ne pouvait s'empêcher, bien souvent, de se demander si Perceval ne se faisait pas plus naïf qu'il ne l'était... Ce n'était pas à exclure, même s'il n'en donnait absolument et définitivement as l'impression. Il fallait espérer que le chevalier de la table ronde pensait chacun des mots qu'il prononçait, ce serait bien plus simple de cette manière. Il viendrait un temps où il n'aurait plus à cacher ses véritables pensées et intentions à son jeune interlocuteur, mais pour ne pas le brusquer, il était clair qu'il fallait y aller progressivement, et que cela pouvait bien évidemment prendre du temps. Mais cela viendrait. Il s'agissait de placer judicieusement ses pions au meilleur endroit possible. Et il pensait que, de ce point de vue-là, le travail était plutôt bien réussi.

-C'est le cas. Et ce sera le cas autant de temps qu'il régnera.

Et cela ne l'engageait à rien, évidemment. Rien du tout, même, car aux yeux de Méléagant, le règne d'Arthur Pendragon était d'ores et déjà sur le déclin. Bien sûr, c'était présomptueux de sa part, mais c'était tout de même ce qu'il pensait, et il le pensait d'autant plus qu'il savait très bien ne pas être le seul ennemi que le roi se soit fait en ces quelques décennies. Disons seulement que Méléagant était parmi ses plus anciens ennemis, même si Arthur avait fini par l'oublier avec le temps, et c'était déjà beaucoup.

-Sur ce, il va malheureusement me falloir revenir à mes obligations. Cela a été un plaisir de parler avec vous, Perceval.

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