L'importance de regarder où on met les pieds | Manon & Perceval

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anon se sentait épuisée. Si elle appréciait son travail, celui-ci était tout de même fait de sollicitations constantes, et l'obligeaient à vaquer d'un recoin à l'autre du château constamment, sans avoir vraiment l'occasion de s'accorder le moindre début de commencement de repos. Elle sentait, après la journée qu'elle venait de passer, qu'elle ne tolérerait pas de rester sur ses deux jambes très longtemps. Elle ne demandait qu'à rentrer chez elle, retrouver les bras d'Ena (si elle était là), s'allonger et fermer les yeux... Ce n'était pas encore pour tout de suite. Elle avait encore fort à faire, et la reine demandait plus que jamais son attention.

Dernièrement, Manon se faisait du souci pour Guenièvre. Elle voyait bien que cette dernière se sentait rongée par la culpabilité, son secret, même si elle le partageait avec elle, restait trop lourd à porter, et Manon aussi culpabilisait un peu, car ce secret, elle n'oubliait pas l'idée de pouvoir l'exploiter à son avantage le moment venu. Elle voudrait apaiser les maux de sa reine, elle voudrait en même temps ne pas faillir à ses promesses, envers les roi et reine, envers elle-même, envers Ena. Tout ceci, malheureusement, se révélait particulièrement contradictoire. Qu'elle le veuille ou non, au final.

Une pile de linge entre les bras, elle s'apprêtait à rejoindre les appartements royaux, la tête chargée de pensée, si bien qu'elle n'avait pas vraiment fait attention à ce qui se trouvait devant elle. Elle n'avait pas du tout remarqué la présence du chevalier Perceval, qui ç l'évidence n'avait pas non plus remarqué la sienne, si bien que l'impact était, bien sûr, inévitable. La pile de linge tomba mollement au sol tandis que le chevalier se confondait en excuses.

-Ne vous excusez pas, j'aurai dû être plus attentive, c'est moi qui m'en excuse, répondit-elle en inclinant la tête en signe de respect.

Elle se devait de faire preuve de déférence et de politesse envers les chevaliers de la table ronde. Elle n'était qu'une simple serveuse, elle ne devait pas se faire remarquer, encore moins faire de reproches. Elle se pencha pour ramasser le linge tombé au sol.

-Je ne veux pas prendre plus de votre temps, j'imagine qu'il doit être précieux.

Même si elle aurait bien besoin d'aide pour ramasser tout ce qui était tombé au sol.

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anon, en présence de la royauté ou des illustres chevaliers de la table ronde, savait tenir sa place. Même si la jeune femme avait de trop hautes ambitions pour le rang qu'elle occupait, cela ne l'empêchait pas de savoir adresser à ceux qui le méritaient de par leur titre, leur bravoure ou leur nom, tout le respect qu'ils méritaient. Elle s'en voulait par conséquent de mettre Perceval dans une position telle que celle-ci, mais ce dernier insistait de bon coeur, en affirmant qu'il n'avait rien de plus important à faire. Elle ne pensait pas qu'il soit tout à fait sincère. En tant que chevalier, elle imaginait qu'il devait toujours une plus haute mission à accomplir, ceci dit, elle appréciait le temps qu'il lui faisait gagner, alors elle n'allait certainement pas s'en plaindre.

-Je vous remercie mille fois, vous êtes bien trop généreux, lui assura-t-elle avec un sincère sourire.

Une fois toutes les affaires ramassées, elle hésita. Pouvait-elle encore abuser davantage de sa générosité ? Ce jeune homme semblait avoir le coeur sur la main, mais peut-être être un peu naîf aussi ? Ne pourrait-elle pas en profiter pour se faciliter la tâche dans le processus. Ce n'était pas forcément très juste, mais elle laissait, en l'occurrence, davantage parler sa curiosité que ses véritables besoins quand elle reprit la parole.

-Pourrais-je abuser encore de votre temps, en ce cas, si vous êtes si peu pressé ? Je dois transporter tout ceci et, comme vous avez dû le constater, c'est plus que ce que mes bras acceptent de porter. Ce serait un immense honneur et un vrai soulagement pour moi si vous acceptiez de me rendre ce service.

Elle en rajoutait trop, bien sûr, et elle insistait peut-être un peu trop, mais il n'empêche qu'elle se demandait bel et bien ce qu'elle pouvait être en mesure d'attendre de son interlocuteur tout en constatant qu'il accepterait, pour des raisons qui venaient peut-être de son coeur noble, ou bien d'une incapacité tenace à dire non.

-Vous êtes bien le chevalier Perceval le Gallois, n'est-ce pas ? ajouta-t-elle. Moi c'est Manon. Pas que cela ait une grande importance, bien sûr, ajouta-t-elle pour poursuivre la discussion.

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anon ne devrait définitivement pas abuser de la générosité de son interlocuteur, mais puisque ce dernier semblait tout disposé à l'aider, elle ne se voyait pas refuser cette aide qu'elle considérait comme particulièrement précieuse, d'autant plus qu'elle avait bien envie d'en finir rapidement. Oui, un chevalier de la table ronde avait forcément plus important à faire que d'apporter son aide à une simple servante, même si cette servante était celle de la reine, mais Manon décidait de jouer sa chance jusqu'au bout.

-Je vous remercie, vous êtes beaucoup trop aimable, fit-elle avec un sourire reconnaissant tandis que le chevalier la débarrassait d'une partie de son fardeau. Elle le pensait en effet, elle avait vraiment le sentiment qu'il lui faisait une fleur incroyable, en cet instant. Elle savait qu'il avait forcément mieux à faire et plus urgent aussi, c'est le lot de tout chevalier, mais elle acceptait aisément le mal qu'il se donnait pour elle, pas parce qu'elle considérait forcément le mériter, mais parce que ça lui convenait au fond particulièrement bien. Je me rendais jusqu'aux appartements de la reine, précisa-t-elle.

L'homme s'étant présenté et lui ayant demandé quel poste elle occupait, Manon ne tarda pas à lui donner une réponse qui allait de paire avec les propos qu'elle venait d'apprendre à son interlocuteur. Elle n'était pas une simple servante, même si au final, c'était ainsi qu'elle paraissait aux yeux de la plupart des gens - et pourrait-elle reprocher à qui que ce soit de la percevoir ainsi ? Très certainement que non.

-Je suis sa servante, spécifia-t-elle comme s'il s'agissait d'un titre honorifique, bien maigre pourtant en comparaison de ce que pouvait faire valoir son interlocuteur (mais un jour cela changerait, Ena le lui avait promis, et Manon y croyait véritablement). A la reine, j'entends. Elle marqua une pause. Vous êtes bien agréable de prétendre que ma vie et mes histoires auraient tout autant d'importance que les vôtres, mais nous savons tous deux qu'il n'en est rien. Et je ne le dis pas comme une manière de m'apitoyer, je considère seulement cela comme un fait, ajouta-t-elle avec un fin sourire.

Ce qui était le cas. Pour le moment, elle se contentait bien de n'être rien, elle pouvait passer inaperçu. Elle savait que ça ne durerait pas.

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-J

e le suis, confirma Manon avec un fin sourire quand son interlocuteur suggéra qu'en tant que servante de la reine, elle devait certainement être ravie de sa position - elle n'avait pas à mentir à ce sujet, c'était effectivement le cas, et ce à bien des égards. Je suis surtout fière de pouvoir servir une femme aussi exceptionnelle, reprit-elle encore.

Et même si elle pouvait donner le sentiment d'en faire trop, le fait est qu'elle le pensait bel et bien, et qu'elle était totalement sincère quand elle prononçait ces mots-là. Oui, elle était bel et bien fière de pouvoir servir Guenièvre, et elle ne cachait pas le moins du monde ce sentiment de fierté qui était de sa part très sincère. Sa position était envisageable par bien des aspects, en réalité.

Elle l'était notamment parce qu'elle permettait à Manon de jouir de privilèges que d'autres serviteurs ne possédait pas, et d'être dans les petits papiers de la famille royale. Par bien des aspects, c'était évidemment une excellente chose, surtout étant donné les projets que caressait Ena, mais ce n'était pas vraiment pour cette raison qu'elle était si heureuse de servir Guenièvre. La vérité, c'était seulement qu'elle nourrissait envers sa reine une admiration totale et sans borne, et qu'elle appréciait de pouvoir la témoigner à celle qui en avait tant et tant fait pour elle.

-Pourtant, il n'y a vraiment rien à dire sur moi : je ne sauve pas des vies, je ne parcours pas le monde, je ne pourfends pas des créatures fantastiques, je ne défends pas dignement nos terres comme le fait un chevalier tel que vous. Je me contente de servir notre reine, et c'est à peu près tout. Quand bien même c'est un honneur véritable, je doute que quiconque y trouve quoi que ce soit de passionnant, insistant Manon, convaincue du fait que sa vie n'était pas passionnante et ne valait définitivement pas grand-chose. Quant à ce qu'était ma vie avant cela, il serait sans doute bien difficile d'en faire un récit épique ou même fascinant puisqu'à vrai dire, je n'en ai plus le moindre souvenir.

Elle n'avait pas la moindre idée de ce qui l'avait poussée à se confier ainsi, mais c'était visiblement à présent chose faite. Allez savoir d'où cette impulsion lui était venue exactement.

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